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Un jour de fin février
1970, le jeune communiste fut embarqué sans formalité aucune dans une voiture
noire par des individus en civil. Il se retrouva au palais royal. Il se
retrouva avec d’autres leaders étudiants dans la grande salle où se tenaient
normalement les réunions les réunions
du conseil du gouvernement. Les enseignants, leaders politiques de
l’opposition, étaient là aussi. Radi,
Oualalou, Mohamed Nacir (UNFP), Ismaïl Alaoui, Omara El Fassi (du PLS)…Guedira et
autres dignitaires du régime se trouvaient là.
Les représentants de
l’Etat demandèrent aux représentants des étudiants d’arrêter les grèves pour
que les gens « fêtassent » tranquillement le 3 mars, « la fête»
du trône. Le roi les recevrait au cours du mois de mars.
Les « grands »
quittèrent la salle pour laisser le temps aux militants de l’UNEM de décider.
Les présents trouvèrent un compris et cela après une discussion houleuse,
Lakhsassi communiqua la position officiel de l’UNEM : « nous ne
sommes que des représentants. Nous allons convoquer des assemblées générales
dans tous les établissements, et c’est aux étudiants de se prononcer sur votre
proposition ».
Les AG des étudiants refusèrent d’arrêter le
mouvement de contestation. Le mouvement se radicalisa.
Le 11 mars (si j’ai une
bonne mémoire), les représentants de l’UNEM, des corporations et des
associations des étudiants furent « invités » au colloque d’Ifrane
(du 12 au 15 mars 1970). Un car spécial assura le transport des représentants
des étudiants.
A Ifrane , les étudiants
furent installés à l’hôtel « Les tilleuls », les enseignants, les
doyens, les directeurs d’Ecoles et Instituts et…le président de
l’UNEM( ???!!!) furent installés ailleurs, loin des étudiants.
Les travaux se déroulaient
dans une grande salle juste à côté du
palais royal.
Le but de Hassan II
n’était pas de trouver des solutions aux problèmes de l’enseignement. Les
grands choix étaient déjà faits. L’objectif était de casser le mouvement, de
discréditer les représentants des étudiants, de mettre à genoux l’UNEM. Radi,
Naciri, Omar Al Fassi, Ismaïl Alaoui étaient en connivence avec les proches du
palais. Les étudiants « agitateurs » (du PLS et de l’UNFP)
dérangeaient les directions réformistes.
Les étudiants communistes
se concertaient entre eux et rejetaient les directives du parti. Lakhsassi,
«pris en charge» par Radi, évitait toute concertation avec les autres membres
du CE et avec les représentants des étudiants.
Le colloque se transforma
en assemblée sans discussion de fond, en ateliers qui ne produisaient rien de
sérieux. Le jeune communiste était dans un « atelier » dont le
bouffon n’était autre que Ezeddine Laraqui (il deviendra par la suite premier
ministre !!!). Le directeur de l’INSEA et autres responsables aimaient
chanter ensemble « tu veux ou tu veux pas… » de Brigitte Bardot.
Les 13 mars, on fit savoir
aux étudiants qu’ils allaient être reçus un à un par le roi. Au même moment la
radio « informa » le public que le ministère de l’éducation
nationale avait décidé d’exclure des élèves,
« fauteurs de troubles »…A Ifrane, les étudiants présentèrent une
motion où ils annoncèrent le gèle de leur participation au colloque et cela
tant que la décision de l’exclusion des élèves n’aurait pas été annulée.
En coordination avec Lakhsassi et des
étudiants « disciplinés », Radi déchira la motion et les travaux
reprirent.
Les 14 mars on demanda aux étudiants de
« descendre en bas » et se préparer à être reçu par le roi en
personne.
« En bas » est transformé en salle
d’AG. La majorité écrasante décida de ne pas se courber devant Hassan II. Pas
de baisemain. Les représentants de la faculté de lettre devraient (ils étaient
les plus sûrs) prendre la tête. Une fois
revenus dans la grande salle les étudiants attendirent la suite. Hassan qui
était bien sûr au courant, escorté du général Oufkir et de ses plus proches
collaborateurs, pénétra dans la salle
tout rouge de colère. Il ne salua personne.
La première rangée était
occupée par les doyens , directeurs.., la deuxième rangée par les représentants
des enseignants, la troisième par les présidents des corporations et
associations des étudiants…après 40 ans, le communiste se rappelle bien qu’il
était assit à côté du militant Abdellah El Mansouri de l’EMI, et que derrière
chacun d’eux il y avait un flic (en civil), et qu’à l’entrée de Hassan II , les
deux jeunes communistes ne s’étaient pas levés. Ce qui leur avait valu des
coups dans les dos. En refusant d’applaudir, ils reçurent d’autres coups.
Certainement qu’ils n’étaient pas les seuls à se faire « rappeler à
l’ordre ».
Le discours prononcé avait
essentiellement pour contenu des insultes. Les représentants des étudiants
furent traités par Hassan II comme des vauriens.
Tout le monde reprit la route de Rabat. Le
jeune communiste était content. Il venait de vivre une expérience très
instructive : ceux qui dirigeaient le pays n’étaient pas mieux que ceux qui vivaient dans les
bas-fonds du pays, les responsables des partis de l’opposition n’avaient rien
d’opposants, que Lakhsassi n’était pas digne de représenter les étudiants et
qu’il fallait le dénoncer dans les assemblées générales. Les communistes
présents au colloque d’Ifrane de mars 1970, ne sentaient plus de liens avec le PLS ni idéologiquement, ni
politiquement, ni sur le plan organisationnel.
A la faculté de lettres, les représentants des
étudiants furent accueillis avec des jets de tomates. Mais les jeunes
communistes ont su expliquer aux étudiants ce qui s’était réellement passé.
A l’INSEA, le jeune
communiste et son autre compagnon présentèrent à l’AG des élèves ingénieurs un rapport détaillé sur
le fiasco du colloque d’Ifrane. Interpelé par les élèves, l’enseignant
F.Oualaalou (lui-même ex président de
l’UNEM) essaya, sans succès, de
justifier sa position à Ifrane. Il s’était dressé contre les revendications
estudiantines.
La jeunesse « scolarisée »
marocaine continua son combat sous diverses formes : des grèves de durées
limitées, de durées indéterminées, des manifestations de rue, la distribution
de tracts, les visites aux usines en grève…
..........
La cité universitaire, la faculté de lettres,
l’EMI étaient les foyers de l’agitation. Devant l’immobilisme du CE de l’UNEM,
en coordination avec les jeunes communistes et avec des jeunes révolutionnaires
ittihadis, le Comité des résidents et des résidentes transforma la cité en QG
de l’agitation estudiantine : affiches murales, tracts, conférences,
débats…
Les jeunes communistes
tissèrent des liens avec des militants de la gauche palestinienne de
l’Erythrée, de Bahreïn, du Sahara occidental…
A la veille du 4 mai 1970,
et à l’occasion de la visite au Maroc du ministre des affaires étrangères de
l’Espagne, Lopez Bravo, le comité des
résidents décida d’appeler les étudiants à observer une grève générale et un
rassemblement au restaurant universitaire le 4 mai.
Pourquoi le 4 mai ?
bien sûr il y avait la visite de Lopez Bravo. Mais le jeune communiste avait en
tête le soulèvement des étudiants chinois le 4 mai 1919, soulèvement qui a
marqué l’histoire de la Chine, soulèvement qui avaient joué un rôle important
dans le fleurissement des idées révolutionnaires qui allaient contribuer à la
naissance du parti ,communiste chinois en juillet 1921.
Le 3 mai, le jeune communiste alla trouver le
grand communiste Aziz Belal, qui lui fournit des informations essentiellement
économiques sur le Sahara Occidental. Le côté politique, le jeune avait ses
idées à lui, idées enrichies par des discussions avec le militant Serfaty qui
était au courant du projet, et avec des militants sahraouis qui préparaient déjà
le soulèvement d’El Ayoune en juin 1970.
Sans coordination aucune
avec le CE de l’UNEM, le comité des résidents et des résidentes annonça le soir
du 3 mai l’idée par affiches , tracts…les jeunes communistes, les
révolutionnaires ittihadis se mobilisèrent et la grève du 4 mai fut un grand
succès. GREVE purement POLITIQUE. Le meeting a eu lieu. Le jeune communiste
prit le premier la parole puis céda la place à Lakhsassi qui était là. Personne
n’avait parlé de la marocanité du Sahara. Le jeune avait insisté sur le
principe de la décolonisation, sur la solidarité avec la résistance sahraouie,
et avait dénoncé les tractations/collusion entre les régimes de Franco et de
Hassan II et cela aux dépens des intérêts des peuples de la région.
Furieux, Hassan II ordonna
l’enrôlement militaire forcé des militants de l’UNEM. La liste préparée par les
services du ministère de l’intérieur créa une pagaille indescriptible : un
ingénieur, portant le nom de Fakihani, fut arrêté à la place Abdelefettah
Fakihani, militant de la Faculté de lettre, un Derkaoui « apolitique »
fut arrêté à la place du militant Abdellatif Derkaoui membre du CE, un
congolais, membre de l’Association des étudiants de l’INSEA, allait être
embarqué…
Des dizaines de militants,
qui n’avaient pas le temps de s’enfuir, se retrouvèrent dans les casernes de
Bengerir, de Benslimane...
Le jeune communiste trouva
refuge chez des amis et parmi ceux-ci Ahmed Akaddaf .
Avec des militants
Ittihadis tels Bezzaoui, Moussaoui, et des camarades à lui, le jeune communiste
contribua à la création du « Comité exécutif clandestin » de l’UNEM,
et aux comités de résistance au sein des établissements universitaires.
Les étudiants, les lycéens…organisèrent de
gigantesques manifestations. Des dizaines d’arrestations. De grands militants
et militants émergèrent du mouvement tel Aziz Mnebhi, AfiFa, Nouda, Abdeslam El
Mouden, Mohamed Fekkak et des centaines d’autres.
Les directions de l’UNFP et du PLS demandèrent
aux militants d’arrêter le mouvement. Selon les politicards, personne ne serait
capable de faire fléchir Hassan II et le général Oufkir. L’institution
militaire était (elle l’ est toujours en 2012) au-dessus de la loi. C’est une
institution qui fait partie des « sacrés » du pays.
Le « CE clandestin de l’UNEM »
contrecarra en appelant à la résistance active. Le seul mot d’ordre des
circonstances était ; LUTTONS POUR LA LIBERATION DES ENRÔLES.
Le CE clandestin de
l’UNEM, tira des dizaines de milliers de tracts, et cela grâce aux centaines de
limonières vietnamiennes qui avaient fleuri un peu partout. Des comités de
région furent constitués. Des milliers d’étudiants furent chargés de rentrer
chez eux et distribuer les tracts pour créer l’agitation à travers tout le
pays. Quelques jours après, tout le pays fut atteint par l’agitation. Pour le
régime, la situation s’aggravait. Le feu s’allumait, la baraque prenait le feu.
Un soir l’armée relâcha
les victimes de la répression. Têtes rasées, les libérés furent reçus à la cité
universitaire en véritables héros. Ce fut une nuit inoubliable. Le grand militant
Belmejdoub, Lakhsassi, et des dizaines d’autres militants retrouvent des
milliers de militants de l’UNEM.
Le front antimakhzen, n’a
jamais connu de grandes fractures. Au sein de l’UNEM coexistaient
démocratiquement les deux courants de l’UNFP, les deux courants marxistes
léninistes. Les luttes intestines à l’UNEM ne dépassaient pas des débats
« quelque fois houleux » politiques et idéologiques. C’était la force
de l’UNEM. Aujourd’hui (2012), il est pratiquement impossible de concevoir une
lutte unitaire des composantes de la gauche de l’UNEM. C’est dommage !