******
LES CONTRADICTIONS DE L’ENNEMI
ET LA PERSPECTIVE REVOULUTIONNAIRE AU MAROC
Organisation Marxiste – léniniste IlalAmam
ABDELATIF ZEROUAL ET
ABRAHAM SERFATY
10 Septembre 1971
L'analyse par le courant révolutionnaire marocain se
réclamant du marxisme-léninisme des contradictions au sein de l'ennemi est
restée jusqu'à présent marquée de subjectivisme petit bourgeois. Une
première tendance consistait à situer la nature du pouvoir comme
celui d'une clique militaro-policière groupée autour de la monarchie, la
bourgeoisie d'affaires participant au pouvoir àune place seconde dans les
domaines de la gestion économique du pays.
Une deuxième tendance qui s'est manifestée après le 10
juillet 1971 tendait au contraire à situer cette bourgeoisie
d'affaires au centre du pouvoir et à situer 1'appareil dirigeant de
1'armée en marge du pouvoir.
Ces tendances procédaient, en plus de subjectivisme
petit bourgeois que seule la pratique révolutionnaire permet d'effacer, d'une
analyse superficielle de la structure de classe de l'ennemi; marquée d'ailleurs
par le terne vague, à souhait, d’oligarchie" compradore.
Enfin, ces différentes tendances négligeaient l'une et
l'autre le développement des contradictions inter impérialistes
dues à l'accélération de la crise générale de l'impérialisme, de même
qu'elles ne tenaient pas compte de la modification de la stratégie de
l'impérialisme américain dans le cadre de la collusion do l'impérialisme et du
socialimpérialisme contre le mouvement révolutionnaire mondial.
La présente analyse s'efforce de poser
les éléments de réflexion nécessaires à une meilleure approche
des contradictions au sein de l'ennemi, contradictions qui sont apparues avec
encore plus d'éclat le 16 août 1972, cela en vue de mieux situer la perspective
révolutionnaire.
I- LA CLASSE AU POUVOIR : STRUCTURE
BIPOLAIRE DE LA CLASSE MAKHZEN ET SON CIMENT MONARCHIQUE
La classe au pouvoir s'est structurée historiquement
dans le processus qui., à partir de la décadence mérinide et de façon
cohérente sous la dynastie alaouite, a organisé le makhzen comme appareil
d'exploitation des structures communautaires paysannes organisées en qbila
(dans le texte français, nous conservons le terme qbila, celle-ci s'étant
différenciée historiquement du contenu ethnique, que conserve en français la
terme tribu, et représente fondamentalement une symbiose entre la
communauté paysanne et la terre qui lui correspond) . Cette classe makhzen
s'est structurée sur deux couches, sociales principales plus ou moins,
interpénétrées : la bourgeoisie makhzen mercantile, bureaucrate, propriétaire
foncier absentéiste à partir des villes principales et assumant avec
les oulama la fonction idéologue centrale ; les mandataires (nous
proposons ce terne au lieu de celui généralement utilisé de féodaux qui ne
correspond pas à la réalité historique du Maroc, ou de celui de
Iqta's utilisé par Laroui et d'autres auteurs et qui
correspond à l'un des aspects de cette couche sociale) chargées
d'exercer sur les qbila's pour le conpte du pouvoir central et à leur
propre conpte les prélèvements fiscaux et le drainage des produits agricoles
destinés à l'exportation, ces mandataires étant constitués
par intégration à l'appareil makhzen des notables émergeant
des communautés paysannes soit par le processus religieux (chorfa), soit par le
processus social (caïds et amghars) et étant appuyés par l'appareil
militaire central du makhzen. Cette structure bipolaire reposait sur le
principe unificateur de la monarchie et notamment sur la force
mystificatrice du principe de "l'imam".
Ce principe s'est vu renforcé, dans la période
historique clé structuration de la classe makhzen, par l'émergence des
dynasties chrétiennes. Cependant, le principe même de l'électivité de
l'imam au sein de cette dynastie par les oulama et par l'ensemble des
"corps constitués", c'estàdire l'ensemble des représentants de la
classe makhzen, illustre bien la solidarité, de fait comme juridique, entre la
monarchie et l'ensemble de la classe makhzen dont
elle était à la fois l'émanation et l'arbitre. En définitive,
c'est la lutte de classes entre les qbila's, communautés paysannes armées, et
la classe makhzen qui sous-tend l'histoire de l'Occident arabe, de la
décadence mérinide au pouvoir colonial.
II- LUTTES DE CLASSES QBIIA'S CLASSE MAKHZEN
La structure même de la société maghrébine
opposant à la classe makhzen le pouvoir de résistance des qbila's,
communautés paysannes armées, conduisait cette classe
makhzen à s'appuyer sur le capitalisme européen ascendant, notamment
par la concession à celui-ci de monopoles du commerce extérieur.
Cette classe makhzen était donc, dès les
premières phases de sa structuration, d'essence compradore. (Par exemple, ARRachid,
premier sultan alaouite, a bénéficié, pour assurer son pouvoir, de l'appui de
la France en échange du monopole commercial à l'Oued Badis,
débouchéméditerranéen de Fès. Ce sont les qbila'sriffaines qui en définitive
feront obstacles à ce monopole).
Donc, dès cette période, la lutte de classes qbila' - classe
makhzen était aussi une lutte nationale, les qbila's s'étant structurées
dans la communauté nationale arabe grâce à la symbiose
socioculturelle araboberbère. Ici, on peut noter :
a) combien est fausse et dépourvue de toute base
sérieuse une prétendue opposition ethnique arabe-berbère
b) les structures communautaires berbères ont
intégré l'apport de l'idéologie islamique et de la culture arabe dans ce
qu'elles contenaient comme idéologie et culture permettant le dépassement des
limites des structures communautaires primitives et par là même la consolidation
de leur essence communautaire. Les liens culturels, idéologiques
et économiques qui se sont développés ont ainsi intégré le
Maghreb à la construction de la nation arabe
c) cependant, cette construction s'est faite et
ne pouvait à l'époque se faire qu'à travers le développement do
classes dominantes à base théocratique et mercantile, que nous
désignerons provisoirement et faute d'analyse historique plus poussée sous le
terme d'"oligarchies théocratiquesmercantiles au pluriel, au sens même où,
dès que les principes unificateurs etégalitaires de la
société communautaire araboislamique ont été transformés en leur
contraire par la structuration de ces classes dominantes,
l'unité politique de la nation arabe s'est rompue en autant de domaines
d'influence.
Cette "mystification" de la
société communautaire araboislamique sous l'égide de ces oligarchies et sa
transformation en société de classes opposant à ces oligarchies
les structures communautaires paysannes, ont entraîné l'instabilité de
ces oligarchies et, progressivement, la diminution relative de la
capacité militaire et économique de la société arabe face au
mercantilisme européen fondé sur une féodalité (au sens strict du
terme) disposant d'un pouvoir supérieur d'accumulation dû lui même à la
moindre capacité de résistance du paysan européen réduit au servage.
Cela explique pour le Maghreb le passage des dynasties
temporaires mais porteuses dans leurs phases initiales du dynamisme profond de
la société communautaire arabeberbère à la décadence
structurelle, sous l'égide d'une classe makhzen qui dut l'essentiel de sa
stabilité à l'alliance compradore avec le capitalisme préimpérialiste
d) au niveau de ces oligarchies
théocratiquesmercantiles dans leurs phases décadentes, et au ai veau
delà classe makhzen, la culture arabe et 1'idéologie
islamique étaient exprimées comme instrument idéologique d'exploitation
des structures communautaires paysannes.
Un exemple caractéristique est le processus par lequel
le mouvement soufi qui cimenta la lutte nationale des qbila's contre les
premières générations coloniales des quinzième -seizième siècles fut
transformé par le pouvoir alaouite en son contraire par la domestication
des confréries.
Le principe de l'imam, la fixation et la sclérose du
dogme, la domestication des confréries, le rôle vigilant des oulama,
l'asservissement de la femme, l'évolution de la culture dite
"andalouse" présentée comme culture d'élite vers la
préciosité et le mandarinat, sont autant de manifestations de la culture
de classe dominante et de sa décadence. A l'opposé, la culture des qbila's n'a
cesséd'être vivante par l'immanentisme sous-jacent du
"tassawuf", par la vie communautaire et la démocratie des jma'as, par
l'immense richesse de la diversité de la musique, du théâtre et des arts
du peuple, par le rôle effectif de la femme dans la vie sociale de la
communauté et dans son autodéfense.
Ainsi, l'opposition présentée comme ethnique par les
historiens de la colonisation, était une opposition profonde, vivante,
entre doux cultures de classe, la culture des qbila's et la culture de la
classe makhzen.
Mais c'était la culture des qbila's qui représentait,
face à une classe glissant de plus en plus vers la collusion avec le
capitalisme européen, la culture nationale arabe.
Cependant, la lutte des classes des qbila's, faute
d'une classe unificatrice qui sera le prolétariat, restait dispersée et sujette
aux influences idéologiques de la classe makhzen.
III- RÉSISTANCE DES QBILA'S
A LA PÉNÉTRATION
COLONIALE
Le passage à la colonisation directe, fruit
de la transformation du capitalisme en impérialisme, passage qui s'est fait
avec la collaboration de la classe makhzen, a entraîné par la suite le
développement des contradictions au sein de la classe makhzen. La
colonisation impérialiste s'est associée aux mandataires (grands caïds et chefs
de confréries) pour en renforcer le pouvoir d'exploitation sur les qbila's,
transformer les mandataires en véritables féodaux, et entreprendre le processus
de prolétarisation et de dislocation de ces qbila's. En revanche, la
pénétration des circuits industriels et commerciaux de 1'impérialisme, la
mainmise par celui-ci sur les canaux internes de drainage des ressources
agricoles du pays (sans parler des ressources minières) ont heurté directement
les intérêts de la bourgeoisie mercantile, non seulement petite et moyenne
bourgeoisie, que l'on peur grouper sous le terme de bourgeoisie nationale, mais
aussi de la bourgeoisie makhzen ou grande bourgeoisie.
Ainsi, alors que les qbila's menèrent seules pendant vingt-cinq
ans la lutte de résistance armée à la pénétration militaire impérialiste,
à partir des années 30, la bourgeoisie, dans un mouvement où ne se
différenciaient pas la petite et la moyenne bourgeoisie de la bourgeoisie makhzen
se constitua en direction politique du mouvement national.
Lorsque ce mouvement atteignit une ampleur qui mettait
en cause le structure même du protectorat, à partir de 1944, la monarchie,
sous l'égide de Mahomed V, prit l'option stratégique qui sauvegarderait
l'avenir de la classe makhzen en se rangeant aux côtés du mouvement national.
Les tentatives du colonialisme de dissocier les qbila's du mouvement national
dirigé par la bourgeoisie en utilisant notamment les "grands
caïds" et en essayant de transformer l'antagonisme qbila'sclasse makhzen
en antagonisme berbère-arabe furent d'autant plus vouées à l'échec
que les qbila's reconnaissaient en ces grands caïds leurs exploiteurs directs
et que le soubassement social et culturel de la résistance des qbila's à la
classe makhzen était en même temps une lutte, pour leur terre, leur
personnalité communautaire, et une lutte pour leur
personnalité nationale arabe.
IV- L'ALLIANCE STRATÉGIQUE CLASSE MAKHZEN
IMPÉ RIALISME. LE DÉTOURNEMENT DE LA LUTTE DE LIBÉRATION NATIONALE.
Cependant, le développement de cette lutte nationale
contenait une ambiguïté fondamentale que l'impérialisme sut
mettre à profit pour s'assumer un repli stratégique lorsque la lutte
des masses populaires, prolétariat et semi-prolétariat des villes organisées en
résistance armée, qbila's organisée en Armée de Libération, prit un contenu de
plus en plus populaire et révolutionnaire àtravers des formes de lutte
où la violence révolutionnaire des masses s'élevait de façon accélérée. La
participation de la bourgeoisie makhzen et de la monarchie au mouvement
national avait fait ressurgir tout le fond idéologique mystificateur du
principe de l'imam, qui s'était cristallisé avec une force exceptionnelle
sur la personne de Mohammed V (d'où le sens le l'aman accordé par
Mohammed V au Glaoui).
La direction politique de la bourgeoisie, qui
correspondait à un amalgame de la bourgeoisie nationale, petite et
moyenne, et de la bourgeoisie makhzen (qui joua en fait le rôle de cheval de
Troie de la classe makhzen), participa à cette stratégie, ce qui
contribua à la démobilisation des masses populaires et
permit à la classe makhzen qui constituait, avec l'appui de
l'impérialisme, son appareil policier et militaire, de démanteler par
l'assassinat et les opérations de ses premières brigades spéciales, la
structure de lutte de la Résistance arabe des villes, et dans un deuxième
temps, d'isoler, de démobiliser puis d'intégrer l'Armée de Libération.
En quelques années, la classe makhzen qui avait
retrouvé son unité sous l'égide de la monarchie, forte ainsi du
prestige de Mohammed V, et avec l'appui de l'impérialisme, profitant de
l'opportunisme et de l'absence de stratégie de la bourgeoisie nationale qui
démobilisait ainsi les masses populaires, écrase également les mouvements
de révoltes spontanés qui opposaient dans diverses régions du pays celles des
qbila's qui, ayant consenti le plus de sacrifices dans la lutte
contre 1'impérialisme s'opposaient au détournement des fruits de la lutte.
Ce fut le cas de l'écrasement dans le sang, sous la
conduite personnelle de Hassan, alors prince héritier, et de Oufkir, de
l'insurrection des qbila's rif faines, écrasement sanglant mené sous
la double caution de Mohammed V et du gouvernement Abdallah Ibrahim.
De même la monarchie ayant pu faire arrêter le combat
de libération nationale des Aït Ba Amrane dirigé par l'Armée de Libération
et sauver ainsi l’impérialisme espagnol d'un honteux rejet à la mer
d'Ifni. Cela fait, la coalition impérialisme classe makhzennien se débarrassèrent
facilement des politiciens de la bourgeoisie nationale qui avaient
cautionné ces différentes opérations.
V- HÉGÉMONIE DE LA COALITION CLASSE MAKHZEN
IMPÉRIALISME
La structure nouvelle de la coalition classe
makhzenimpérialisme et la nouvelle stratégie de 1'impérialisme français, si
elle avait été imposée par la croissance de la lutte de libération
nationale des nasses populaires marocaines,
correspondait également à l'emprise dominante au sein de
1'impérialisme français des banques d'affaires au détriment du vieux
capitalisme concurrentiel et colonisateur. L'exploitation néocoloniale s'est
donc développée à un rythme jamais atteint grâce à la
collaboration intime entre la classe makhzen et les banques d'affaires
françaises, dans le cadre de laquelle s'est opéré le
transfert à la classe makhzen de la propriété coloniale et
1'interpénétration des deux partenaires dans les circuits industriels,
financiers et du commerce extérieur.
A cette exploitation accrue du pays en symbiose avec
le capital étranger, les deux parties composantes de la classe makhzen
ont également contribué, sous l'égide de la monarchie qui s'en est
assuré une part directe de plus en plus prépondérante. Toutes deux ont
bénéficié du transfert des terres coloniales et de la prolétarisation désormais
sans limites des anciennes qbila's, les anciennes communautés
paysannes étant réduites à l'état de paysans sans terre,
d'ouvriers agricoles et de paysans pauvres, quand ce n'est pas de ceux
contraints à espérer une subsistance aléatoire dans les bidonvilles
des cités.
Cependant, se sont maintenues canne forme
d'autodéfense culturelle et politique les anciennes structures c'en jma'as,
comme cela est nettement apparu dans les luttes paysannes depuis trois ans, et
en particulier aux Oulad Khalifa. S'il y a eu une relative division du travail
entre les deux parties composantes de la classe makhzen, au sein de l'appareil
d'Etat, due à leurs origines même (les anciens officiers de l'Armée
Française ou Espagnole, issus des grands caïds, devenant lesofficiers généraux
et supérieurs de l'armée, l'ancienne bourgeoisie makhzen devenant la
bourgeoisie bureaucratique et d'affaires), cette division a été toute
relative et l'on trouve des fils de l'ancienne bourgeoisie makhzen au sein de
l'armée et des fils de l'ancienne "féodalité" dans les milieux
d'affaires (ce n'est pas par hasard que Mohammed V, qui pouvait se permettre
une meilleure vue stratégique des intérêts de la classe makhzen que son fils,
avait fait affecter la totalité des bacheliers de l'indépendance, issus
essentiellement de la moyenne et grande bourgeoisie, au cadre des officiers de
la nouvelle armée). En fait, les années soixante ont vu l'âge d'or de cette
classe makhzen et une lune de miel sans nuages entre ses parties composantes et
avec les banques d'affaires françaises (aux moments les plus graves de
l'affaire Ben Barka, la participation d'un oufkir aux bonnes affaires traitées
avec ces milieux ne s'est jamais ralentie).
VI- DÉSTRUCTURATION DE LA BOURGEOISIE
NATIONALE
Dans cette même période, la structure socioéconomique
de la bourgeoisie nationale a été soumise àun double
processus de désarticulation et d'intégration : désarticulation économique
par tous les moyens conjugués de l'association capital étranger bourgeoisie makhzen
et de l'utilisation de l'appareil d'État ; intégration dans cet appareil d'État
lui-même se glorifiant directement et indirectement chaque année davantage de
fonctionnaires, d'employés et de cadres des offices d'État, de conseillers
municipaux et communaux, de députés, de policiers, de militaires ;
Intégration également par l'emprise de plus en plus complète de la classe
makhzen et à travers elle de la monarchie sur l'ensemble des
circuits économiques du pays. De fait, s'il n'y a pas d'entrepreneurs
marocains, c'est qu'il ne peut y avoir que des mandataires. L'appétit sans
limites de la monarchie, son ambition de transformer tout le Maroc en
propriété personnelle, sa volonté de réduire effectivement les
tenants même de la classe makhzen et à plus forte raison de la moyenne
bourgeoisie au statut de mandataire et à l'asservissement moral, son
propre asservissement culturel aux formes les plus décadentes de la culture
impérialiste française et occidentale, conduit par la même l'ensemble de la vie
socio économique du pays à passer sous l'emprise de l'appareil de
gangstérisme constitué par les hommes de main de la monarchie.
Dans cette phase où rien apparemment ne pouvait
s'opposer à l'appareil de terreur et de racket de la monarchie, la
direction politique de la bourgeoisie nationale, privée d'assises, dépourvue
d'avenir, s'est décomposée sous les contorsions successives auxquelles l'ont
amenée les manœuvres et les manipulations de la classe makhzen.
De leur côté, les bureaucrates syndicaux issus de
l'appareil politique de la bourgeoisie nationale ont pu pendant une dizaine
d'années neutraliser la classe ouvrière pour la livrer ainsi pieds et poings
liés à l'arbitraire patronal et gouvernemental. Pendant cette même
période de 1955 à 1970, à1'arrièreplan, il n'y avait pas de
contradiction sensible entre impérialisme américain et impérialisme français
pour les problèmes concernant le Maroc. La stratégie de l'impérialisme
américain étant, au niveaupolitico-militaire, d'assurer la
stabilité du système mondial de l'impérialisme, au niveauéconomique pour
cette région du monde, d'étendre son contrôle indirect à travers la
mainmise croissante sur les mines européennes sauf directement pour les
ressources minérales stratégiques et principalement le pétrole. Là encore,
ce partage des responsabilités inter impérialistes
a fonctionnécorrectement pendant cette période. On le voit bien par la fin
de non-recevoir exprimée en 1966 par le gouvernement
américain à Hassan lors de ses difficultés diplomatiques passagères
avec la France.
VII- UN
RÉGIME EN DÉCOMPOSITION
Cependant, le fait même que la classe makhzen,
et à sa tête la monarchie, ait cru, par le démantèlement des
organisations de lutte des masses populaires après l'indépendance, par la
décomposition politique de la bourgeoisie nationale, par la complicité de
la bureaucratie syndicale, par l'appui assuré de l'impérialisme, ne
pouvant plus trouver de limites à son brigandage, au pillage
systématique et organisé du pays, à la prolétarisation des
masses paysannes, au vol des terres, au vol tout court, systématique et
organisé, sur l'ensemble des circuits économiques du pays à la
mainmise et à 1'étouffèrent de toute initiative économique, à la
soumission de la classe ouvrière à arbitraire patronal et à la
répression policière, à la condamnation de la
jeunesse à une vie sans espoir et à l'écrasement culturel,
au règne des gangs et des tortionnaires, à la pourriture, au luxe et
au scandale, toute cette décomposition a creusé à la classe makhzen, et en
premier à la monarchie, une tombe béante de boue, de sang et de
haine.
Cela d'autant plus que la politique même de Hassan
pour éliminer au sein de celte classe makhzen toute contestation
personnelle de ceux qui pouvaient s'alarmer de cette décomposition
l'amène à humilier les uns par les autres, à promouvoir les
colonels gangsters comme: Dlimi et les généraux d'opérette comme Moulay
Hafid, à s'appuyer sur les
Commis avoués du grand capital français, comme Karim
Laamrani, à s’entourer ouvertement et àcompter d'abord sur les
agents mêmes du capital français, à vouer au mépris la culture
nationale et la révolution arabe, à s'entendre avec le sionisme et
ses agents, à ne plus compter au Maroc que sur ses gangs
tortionnaires, à s'enfoncer chaque jour davantage dans la boue et le
sang.
Toute la structure d'encadrement de l'économie
néocoloniale par l'appareil bureaucratique dépendant de la classe makhzen et de
ses associés impérialistes français est mise en cause par une telle poussée. Ce
sont donc à la fois l'appareil affairiste et technocrate de; la classe
makhzen et l'ensemble des intérêts au Maroc de l'impérialisme français qui sont
menacés dans leur fondement par la revendication de l'arabisation, par le poids
grandissant au Maroc de l'idéologie de la révolution arabe.
ABDELATIF
ZEROUAL ET B,SERFATY
10 Septembre 1971