la 28è partie : Janvier 1984, nouvelle arrestation
Octobre, novembre et décembre 1983, furent des mois d’intenses
activités. En plus de la préparation des cours, il fallait préparer le premier
numéro du journal, participer aux activités de l’AMDH, intervenir dans les
facultés… la résistance populaire reprenait de l’ampleur, le train de la lutte
des classes n’attendait pas les trainards.
Face à la crise économique, au déficit budgétaire, à la crise de
l’enseignement…l’Etat décida de supprimer certaines subventions en les
remplaçant par des «bons» à distribuer aux pauvres…Ce fut « la goutte
d’eau qui avait fait déborder le vase ». Les pauvres et les étudiants
descendirent dans la rue, surtout à Marrekech, Kasr kebir, Nador, Tétouan…et ce,
à partir du lundi 16 janvier 1984. La direction nationale d’ILAL AMAM appela au
soulèvement général contre la tyrannie de Hassan II.
Le régime n’hésita pas à
utiliser les grands moyens : chars, hélicoptères…les innocents tombent par
centaines sous les balles des forces de répression. La ville de Casablanca où
se tenait le sommet de la «l’Organisation de la conférence islamique» (aujourd’hui :
l’Organisation de la coopération islamique), fut bouclée et quadrillée par les
diverses forces de répression.
A partir du jeudi 19 janvier 1984, le soulèvement prenait de
l’ampleur, gagnait d’autres régions. Et à partir du vendredi 20 janvier, des
tracts d’origines diverses appelaient le peuple marocain à entamer une grève
générale à partir du lundi 23 janvier 1984. La baraque du makhzen prenait du
feu.
Le dimanche soir du 22 janvier, Hassan II s’adressa à «la
nation», il s’en prit à ILAL AMAM, aux islamistes, aux étudiants, aux élèves,
traitant les bourgeois de froussards, insultant dans un langage vulgaire les masses
populaires, menaça les rifains, tout en leur rappelant les massacres de 1958/59
qu’il avait commandés lui-même…
Les masses populaires furent traitées d’awbach (les déchets de
la société). Malgré la terreur, malgré son langage de guerre, Hassan II annonça
la suppression des mesures préconisées quant à la caisse de compensation. On voyait qu’il avait peur. Il devrait lâcher du
leste.
A part ILAL AMAM, aucune autre force politique, n’avait osé
prendre position pour le soulèvement populaire.
Après avoir écouté le
discours télévisé du tyran, l’ex petit berger dit à sa compagne : je dois
me préparer pour la prison. On brûla à la hâte ce qu’il fallait brûler. La nuit
se passa bien. Le lundi 23 janvier 1984, le frais professeur, avec sa blouse blanche,
assistait normalement à la prestation d’une stagiaire, quand un chaouch, tout
blême, arriva dans la salle et lui dit que le directeur voudrait le voir. Le
nouveau prof, savait ce qui l’attendait. Il ramassa ses affaires, mit la blouse
sur le cartable déposa le tout sur le bureau et quitta la salle. Dans le
couloir, l’attendaient des policiers en civil. Il fut ainsi embarqué et emmené
au commissariat central de Rabat et ce, sans formalité juridique aucune.
L’arbitraire le plus abject. La répression au Maroc n’a jamais besoin de
formalités juridiques : le procureur et le juge ne sont là que pour dire
« amen » aux décisions du policier. Ils restent de simples figurants
dans des scénarios/films d’horreur.
A l’arrivée, on le fit
normalement attendre dans un bureau. Après une demi-heure, il fut introduit
dans un spacieux et luxueux bureau où l’attendaient autour d’une grande table 7
ou 8 personnes. Il fut invité à s’assoir. Pas de menotte, pas de bandeau noir.
C’était la séance de « discussion ». Les divers
services voulaient « comprendre ». Le policier de mai 1983 était là.
L’animosité se lisait sur son visage.
Je résume ici le contenu de la discussion/interrogatoire.
- Police : que pensez-vous de l’invasion d’Afghanistan par
l’Union soviétique ? (Cela parait bizarre mais c’était la première
question).
– Interpellé : Je suis contre l’invasion soviétique, mais
pour moi, le véritable problème c’est l’intervention de l’impérialisme, du
pakistan et des pays arabes pour soutenir et armer la contre-révolution dirigée
par les grands propriétaires terriens afghans qui sont contre la révolution
agraire.
– La police : quelle est votre position concernant le
Sahara marocain ?
– L’interpelé : Pour moi, le problème est dépassé puisque
Hassan II a déclaré à Naïrobi que le
Maroc accepte le référendum d’autodétermination.
– Police : pourquoi vous n’avez pas rejoint un des
syndicats existants ?
– Interpellé : avant mon arrestation en juin 1972, j’étais
à l’UMT. Il était pratiquement le seul syndicat existant. Dix ans après, à ma
sortie de prison, je me retrouve avec plusieurs syndicats. Pour le moment je
garde mon indépendance.
– Police : vous êtes un communiste convaincu. Pourquoi ne
pas rejoindre le parti d’Ali Yata, qui est le parti communiste marocain.
– Interpellé : j’avais
quitté en 1970 ce parti par ce qu’il n’est pas communiste.
– La police : vous parlez souvent de Tazmamart. Vous êtes
certainement la personne qui a communiqué à la presse étrangère des lettres
sorties de ce bagne.
- Interpellé : certainement pas. Je n’aurais pas parlé
publiquement de ce bagne si je suis l’auteur des «fuites.». Ils n’insistaient
pas.
Tout se passa « normalement », c'est-à-dire, sans injures,
sans menaces, à part le fameux policier, qui dit : vous voyez qu’il parle
du roi sans dire sa majesté le roi.
Aucune question sur la nature du régime, ni sur les événements
qui secouaient le pays en ce janvier 1984.
Ils étaient « courtois ». Le but était de comprendre
et non d’extorquer des « informations » par la torture et par
d’autres moyens peu « catholiques », ou simplement de vous tabasser
pour le plaisir de vous tabasser.
De cette « calme discussion », l’ex petit berger
conclut qu’en une dizaine d’années, la tyrannie a pu former quand-même des
policiers « intellectuels ». Des jeunes flics recrutés certainement
dans les milieux « militants » estudiantins et bien entraînés par les
polices américaines et françaises.
On fit sortir du bureau interpellé. Dans le couloir, le ton
changea. D’autres individus, dont des gorilles prêts à vous sauter sur la
gorge, firent descendre interpellé à la cave. On lui enleva la montre, les
quelques sous qu’il avait dans sa poche, des papiers…les nuages sombres,
accompagnés d’éclairs et de tonnerre se profilaient à l’horizon. Il fut remis à
d’autres individus. La division du travail oblige !
Il fut jeté dans une chambrée puante, suffocante, ou des
dizaines de personnes étaient entassées. Des drogués, des ivrognes, des pickpockets, mais
aussi plusieurs «politiques».
Il trouva devant lui le
docteur Jamal Belakhdar, l’un des fondateurs d’ILAL AMA, les professeurs
universitaires Abdeljali Nadem, Saïd Benjelloune, ex détenus qui avaient
«abandonné la politique» depuis des années…
Après les salutations, il leurs dit : «c’est
une occasion de nous revoir ».
Hassan II avait prononcé son discours
télévisé vers 20h du dimanche 22 janvier 1984, quelques minutes après débuta
l’opération généralisée des rafles à l’aveuglette et des arrestations politiquement
ciblées.
La répression politico-sociale se mélangea au
racket. Hassan II avait parlé des élèves, des mineurs. Il annonça qu’il n’était
plus question de faire la différence entre les grands et les petits. Ce fut une
aubaine pour les ripoux. La police embarquait dans des estafettes, dans des
fourgons des centaines, des milliers de collégiens, de lycéens, des innocents
mineurs, pour les relâcher contre des sommes d’argent. La rançon variait autour
de 1 000 dh. Le marchandage se faisait dans la rue, au commissariat...Les
ripoux extorquaient l’argent sans scrupule aucun. Les enfants dont les parents ne pouvaient pas payé
se retrouvaient dans des cellules insalubres.
Le
commissariat du quartier de l’Océan avait battu le record de l’arbitraire de la
répression et de l’extorsion de fonds. Le patron, un certain Alaoui, aurait été
blessé à la tête par un jet de pierres. Ce qui l’avait rendu fou furieux.
Les commissariats de Rabat et de Salé étaient
pleins à craquer. La police « politique » avait remis sur table les
listes «noires». Il fallait embarquer tout ce monde là et ce, sans motif aucun.
Au commissariat de Rabat, les victimes furent
réparties dans les différentes cellules. La gigantesque chambrée, « la
salle de réception », ne pouvait contenir ces centaines de détenus. A
l’extérieur, les voleurs, les agresseurs, les violeurs, les ripoux étaient aux
anges. Personne ne les inquiétait.
Hassan II n’avait parlé que des « agitateurs et autres fauteurs de
troubles » politiques. La chasse à l’opposant était l’unique tâche des
services de l’Etat.
L’ex petit berger se retrouva entassé avec une
vingtaine de détenus dans une cellule faite normalement pour 5 personnes. Les
victimes s’arrangeaient pour que la moitié s’accroupît et l’autre restât debout,
et cela à tour de rôle. Le trou/wc ne se voyait pas. Affamés, assoiffés,
lassés, les détenus avaient « oublié » les besoins naturels. Les
détenus avaient vécu 13 jours dans cet enfer.
L’ex berger, menotté, yeux bandés, avaient
droit à plusieurs séances d’interrogatoire. Les questions tournaient autour
d’ILAL AMAM, structures, positions…autour des soulèvements populaires…Il adopta
la même tactique qu’en 1972. Il «se chargea, s’enfoncer», pour montrer qu’il
n’avait pas peur (je suis républicain, communiste…), mais aucun, vraiment aucun
mot qui pourrait nuire à l’organisation ou à un camarade.
Il fallait passer à la torture physique.
Abdelilah Benabdeslam et l’ex petit berger furent emmenés dans le «laboratoire
de torture», le lieu de l’extorsion des «aveux». On enleva le bandeau à l’ex
bédouin, pour mieux voir son ami souffrir, car c’est par Abdelilah que les
tortionnaires allaient commencer. Une fois l’opération entamée, ce dernier
tomba raide. Il fut victime d’une crise cardiaque. Les flics furent surpris,
On
le fit descendre du « perchoir ». Un flic toubib, jugea la situation
critique. Dans ce grand brouhaha, des flics redescendirent l’ex petit berger,
qui échappa ainsi à la séance de torture. Abdelilah fut relâché. La police
avait voulu éviter le scandale d’un assassinat.
Mohamed Sebbar avait connu un véritable
enfer. Il a été torturé plusieurs fois à Rabat, puis à Tétouen… C’est le détenu
qui avait été le plus torturé.
Malgré
ces conditions inhumaines, les détenus rigolaient. Ils trouvaient toujours des
« occupations » pour s’oublier dans ce monde de misère humaine. Il
faut reconnaître que Sebbar a une grande capacité de créativité humoristique.
Pour les personnes qui n’ont pas vécu
directement ces événements sanglants, ou qui se sont limité aux versions
officielles, je reproduis ici une partie d’un article émouvant publié par la
revue hebdomadaire TELQUEL, il y a de cela quelques années. Je rappelle aussi
que l’Etat marocain a fait « découvrir » à son appendice, l’IER, un
seul charnier (à Nador) contenant une vingtaine de dépouilles, alors qu’il
s’agit de centaines de tués. L’Etat a fait de même avec les massacres de juin 1981
(Casablanca), et de décembre 1990 (Fès).
Extrait de
« sebtamlilya.net » :
« Dans son discours au lendemain des événements, Hassan II qualifiera les émeutiers de "awbach", littéralement "déchets de la société". (AFP)
« Dans son discours au lendemain des événements, Hassan II qualifiera les émeutiers de "awbach", littéralement "déchets de la société". (AFP)
Il y a 23 ans, dans la
ville de Nador, de simples protestations estudiantines se terminaient dans un
bain de sang. Retour sur ce fameux 19 janvier 1984 qui, jusqu'à aujourd'hui,
n'a pas livré tous ses secrets.
…………….
Pour les habitants de
Nador, janvier n'est pas un mois comme les autres. Et pour cause, il évoque
pour beaucoup d'entre eux de bien tristes souvenirs. "La douleur est
chaque année au rendez-vous. Ces évènements tragiques nous ont marqués à
vie", souligne, ému, ce chauffeur de taxi, qui a perdu un membre de sa
famille dans les manifestations du 19 janvier 1984.
…………
Lors de son discours
télévisé du 22 janvier 1984, dans lequel il qualifie les émeutiers de
"awbach" (littéralement "déchets de la société"), Hassan II
présente les événements non pas comme des manifestations populaires, mais comme
"des manœuvres de déstabilisation", visant à perturber la 4ème
conférence au sommet des pays islamiques, qui se tenait la même semaine à
Casablanca. Et parmi les coupables, le défunt souverain pointait du doigt les
marxistes léninistes, "les services secrets sionistes" et… l'Iran. Ce
dernier enfonce même le clou en menaçant les habitants de la région :
"Vous avez connu le prince héritier (en référence aux événements de
1958-59 durant lesquels Moulay El Hassan avait violemment réprimé le
soulèvement rifain), je ne vous conseille pas de faire connaissance avec Hassan
II".
Tirs à balles réelles
Les manifestants,
déboulant des quatre coins de la ville, convergent vers l'avenue des Forces
armées royales, artère principale de la ville. Et de débordement en
débordement, les rassemblements se transforment en émeute et les manifestants
cassent tout sur leur passage. Véhicules calcinés, commerces brûlés, écoles
saccagées, vitres cassées… C'est le chaos qui s'installe en ville. Plus tard
dans la journée, un communiqué du premier ministre de l'époque, Mohammed Karim
El Amrani, fera état de 7 voitures, un car de police et 11 commerces brûlés, 20
voitures et 6 écoles endommagées…
L'intervention des
forces de l'ordre ne se fera pas attendre. Dépassées par les événements et en
sous-effectifs (le plus gros des troupes étant alors à Casablanca, pour assurer
la sécurité du sommet de l'OCI), les forces déployées paniquent et arrosent la
foule de balles réelles. Certains parlent même d'un hélicoptère, usant d'une
mitrailleuse lourde à l'aveuglette pour disperser les manifestants. Un
témoignage confirmé par le journal espagnol, El Telegrama de Melilla, qui avait
publié, dans son édition du 24 janvier, la photo d'un hélicoptère tirant sur
des manifestants.
Beaucoup de Nadoris,
très jeunes pour la plupart, tombent sous les balles ce jour-là. C'est le cas
de Zouhaïr, 14 ans, sorti "jouer aux billes" avec son cousin, et qui
reçoit un projectile en pleine tête. Ou cette petite fille de dix ans assommée
d'un coup de crosse, qui ne s'en relèvera jamais, étant depuis clouée dans un
fauteuil roulant.
Officiellement, il y
eut, en tout et pour tout, 16 morts, 37 blessés (dont 5 parmi les membres des
forces de l'ordre). "Ces chiffres sont ridicules, démentent de témoins de
l'époque. Il y a eu beaucoup plus de morts que ce que les autorités
prétendent". Le témoignage de Lahcen Ouchlikh est éloquent à ce sujet.
Blessé durant l'émeute, ce dernier reprend connaissance in extremis dans ce qui
s'apparente à une fosse commune, creusée à la hâte près de la caserne militaire
de Taouima, dans la banlieue de la ville. Autour de lui, il jure avoir aperçu
entre 70 et 80 cadavres. Un ancien policier de l'époque parle également de
quelque 84 morts. Combien de victimes exactement ont fait les émeutes de Nador
? Difficile à dire. Les corps des manifestants tombés sous les balles ont été
rapidement entassés dans des camions, pour être enterrés dans ladite fosse
commune. Quant à ceux qui sont décédés dans les hôpitaux, il n'y a plus aucun
moyen de les comptabiliser : les archives de cette année-là ont tout bonnement
disparu. Et les familles des disparus dans tout ça ? Pourquoi ne se
manifestent-elles pas pour réclamer leurs morts ? "Il faut savoir que
beaucoup d'entre elles ont préféré quitter la ville, voire le pays, le lendemain
des événements, explique Chakib El Khyari. Et celles qui sont restées ont tout
simplement eu peur de le faire". Et quand bien même les familles auraient
réclamé réparation, elles n'avaient aucun moyen de prouver que leurs proches
étaient bien morts lors des émeutes. Et pour cause : les autorités avaient pris
le soin de postdater les décès des victimes sur les livrets de famille.
Arrestations massives
Quant à ceux qui sont
sortis indemnes de cette journée, ils n'imaginaient pas le calvaire qui les attendait.
Dès le lendemain des émeutes, les renforts arrivent en masse dans la ville de
Nador, essentiellement de la caserne militaire de Guercif. Une large campagne
d'arrestations est alors entamée. Ils sont, d'après les estimations des ONG
locales, près de 500 personnes à avoir été "arrêtées". Beaucoup
d'entre elles n'avaient même pas participé aux manifestations. C'est le cas de
Benaïssa Belghiane, arrêté le 20 janvier 1984, alors qu'il n'avait pas quitté
son lieu de travail la veille. Comme beaucoup d'autres, il a droit à deux
semaines de séjour dans le sous-sol du commissariat central de Nador, subissant
différentes formes de torture, avant de se voir condamner à 10 ans de prison
ferme. Son beau-frère, de passage au Maroc, a beaucoup moins de chance. Une
balle tirée par les militaires mit fin à sa vie. L'arbitraire a également
frappé Mohamed El Ouard, qui se trouvait également sur son lieu de travail le
jour des émeutes. Il est arrêté quelques jours plus tard. Verdict : 10 ans de
prison ferme. Pour l'anecdote, l'un des accusés aurait même avoué au juge qu'il
était en train de cambrioler un magasin à Melilia. En vain. Il a écopé lui
aussi des 10 ans "réglementaires".
Pour un avocat de la
ville, qui a défendu certains des inculpés, les procès n'étaient qu'une
formalité. Sous le sceau de l'anonymat, il assure que "les jugements
étaient orientés et les verdicts connus d'avance. Le gouverneur de l'époque
s'était pratiquement installé dans le bureau du président du tribunal". En
clair, les autorités locales avaient besoin de boucs émissaires, de
"victimes expiatoires". "Hassan II était furieux que cela arrive
en plein sommet de l'OCI, alors que les regards du monde entier étaient tournés
en direction du Maroc, analyse un activiste associatif de la ville. Certains
noms étaient donnés dans le cadre de simples règlements de compte. Sinon, ils
étaient cités par des gamins qui, à force d'être torturés, donnaient les noms
qui leur passaient par la tête".
Par ailleurs, de
nombreux témoins avancent que certains membres des forces de l'ordre ont en
même profité pour se remplir les poches. "Ils se présentaient chez les
familles riches de la ville et les menaçaient d'arrêter leurs enfants, si elles
ne leur remettaient pas des sommes pouvant grimper jusqu'à 50 000 DH",
affirme un commerçant local. D'autres racontent même que l'armée aurait pillé
les souks de la ville, emportant essentiellement le matériel électroménager et
autres produits électriques. Visiblement, le malheur des uns a fait le bonheur
des autres. »
TELQUEL
29ème
partie : «re-bonjour» prison !
Après
13 jours de calvaire cauchemardesque, 13 jours non mentionnés dans les PV de
police et donc non comptabilisés dans les peines à passer en prison, les
dizaines « élus » de la police furent présentés au procureur du roi.
L’ex petit berger fut introduit dans le bureau du procureur (l’enfonceur selon
le jargon populaire المغرق). Il est accusé, entre autre, d’avoir dirigé une cellule d’ILAL
AMAM, composée de Jamal Belakhdar, de Omar Zaïdi, d’un ingénieur, d’une femme
médecin…la dite cellule aurait organisé des manifestations, attaqué un train,
distribué des tractes…L’ex berger ne crut pas ses oreilles. C’est du pur Kafka.
Omar Zaïdi n’était jamais militant d’ILAL AMAM, Belakhdar avait divorcé avec
ILAL AMAM depuis plus 12 ans, l’ingénieur, la femme médecin étaient simplement des
inconnus pour l’ex petit berger…les faits mentionnés dans le PV n’étaient pas
véridiques…Il protesta, et déclara qu’il n’a jamais signé de PV de la police.
Les détenus arrivèrent la nuit tombée à la
prison Laâlou de Rabat. L’ex berger se retrouva avec 125 (!!!!) autres victimes
dans une chambrée. Malgré que la cellule soit spacieuse, normalement elle est
faite pour 30 ou au maximum pour 40 détenus, elle a reçu en son sein ce soir du
5 février (si je ne me trompe pas d’une journée) 126 détenus.
Il
est impossible de dormir dans ces lamentables conditions : la puanteur,
les poux, les cafards, les punaises, le manque d’espace où s’allonger...
Sebbar, Zaïdi, Abdelkhalek Benzekri, Sbaï,…ont su « meubler » la
nuit, en racontant des blagues, chanter Marcel Khalifa, cheikh Imam, Saïd Al
Maghribi…L’ex bédouin, terrassé par la fatigue, ne sentait ni la faim, ni la
soif, ni la déprime…
Le
lendemain, les nouveaux arrivés refusèrent de regagner«leur» chambrée. Premier
accrochage avec l’administration de la prison. Le quartier moderne, composé essentiellement
de cellules individuelle ou de cellules faites pour 2 ou 3 personnes, étaient
accordées en location aux gros trafiquants, aux fonctionnaires impliqués dans
des détournements de fonds, aux riches. Dans ce quartier se trouvaient aussi le
grand militant Abderrahmane Ben Amre et ses camarades jetés arbitrairement en
prison suite à leurs démêlés politiques avec le bureau politique de l’USFP, Ce
dernier avait fait appel à la police pour les coffrer. Dans ce quartier se
trouvait aussi Cheikh Abdeslam Yassine et ce, suite à ses démêlés politiques
avec le régime.
L’administration
vida la plus grande partie du quartier « 5 étoiles », en installant
les anciens locataires à l’infirmerie…L’ex berger et une dizaine d’autre
victimes décidèrent d’occuper la plus grande cellule du quartier : la
fameuse cellule 13. Pourquoi ? Pour discuter, blaguer, chanter : on y
trouvait Abdelkhalek Benzekri, Mohmmed Sebbar, Omar Zaïdi, Ali Fkir…
L’ex
berger a eu l’occasion de faire la connaissance d’inoubliables militants,
surtout des jeunes. Ils sont des dizaines pour les citer un à un. Ils étaient
tous formidables.
Les militantes ont été placées dans le
quartier des femmes. Elles étaient extraordinaires, aussi bien au commissariat
qu’en prison. Et ce malgré les conditions lamentables où elles se trouvaient.
La majorité était des enseignantes stagiaires à l’ENS. En 2012, 28 ans après,
je ne peux que féliciter des militantes qui sont là toujours, le drapeau de la
résistance à la main, drapeau bien
brandi, telle l’infatigable Zaïna Oubihi, cadre de l’AMDH,
d’ATTAC-Maroc, du mouvement syndical démocratique et progressiste…Cette
militante dévouée aux causes justes, honnête et conséquente dans ses
engagement, démocratique dans ses relations avec les autres…mérite toutes nos
considérations.
Il y avait des dizaines de militants «alqaïdyines »
(basistes) : de l’institut agronomique, de la faculté des sciences, de la
faculté de droit, de l’ENS, de la faculté de médecine…En frappant fort dans les
milieux d’étudiants progressistes, Driss Basri avait ouvert à la mouvante
islamiste toutes béantes les portes de l’université. Comme il avait encouragé
par la suite cette même mouvante à envahir les plages, à ouvrir des camps de
formation de véritables escadrons de la mort.
A Rabat, et comme tous les procès politiques
qui se déroulent au Maroc, le procès des dizaines militants et militantes,
arbitrairement arrêtés en janvier 1984, a eu lieu en mars-avril 1984. C’était
une véritable parodie, une mise en scène, où il y avait tout sauf la justice,
la vérité et le sérieux.
Les
individus qui étaient en face des victimes, des avocats, et des familles,
étaient de véritable marionnette dont les ficelles étaient tirées par la police.
C’étaient de simples apprentis- acteurs qui agissaient selon les instructeurs
des souffleurs bien placés derrière le rideau du théâtre.
C’était vraiment un moment de détente, du
moins pour l’ex petit berger. Il avait beaucoup ri. Il faut reconnaître que les
étudiants ont su dénuder cette comédie. A la barre, un étudiant parlait (avec
ironie) d’Ismaïl : je suis sorti d’ismaïl, revenu à ismaïl…il refusait de
prononcer le mot Moulay, car il s’agissait du camp Moulay Ismaïl. Les
« magistrats » suffoquaient de rages. Un autre, fixa son regarde sur
le procureur (celui-ci a eu vraiment peur), puis lui dit : tu es
insupportable, espèce de malpropre. Suite à un plaidoirie d’un avocat
« islamiste » où il avait récité un verset de coran où il est dit
entre autre, que si on lit le coran sur une montagne, elle va bouger malgré
elle…un troisième étudiant se tournant vers le même avocat lui dit : vous
pouvez passer votre temps à réciter les versets de coran, les sentences fixées
par la polices ne vont pas changer d’un iota…
Les peines étaient «relativement» clémentes
en comparaison avec les lourdes peines prononcées dans les villes du Nord, à
Marrakech et même à Casablanca. Elles varièrent entre le non-lieu et une année
de prison ferme, à l’exception toutefois d’une peine de deux ans infligée au
militant Driss Anaânaâ pour avoir dessiné une carte où fut tracée la frontière
qui sépare le Maroc du Sahara occidental. Une année de plus pour quelques
pointillés. L’ex petit berger, tête de liste des accusés, a écopé d’une année
de prison ferme. Ainsi après 18 mois de « liberté », il se retrouva
en prison avec de dizaines de militants, d’horizons politiques différents, et
dont la majorité faisait partie de la deuxième génération des marxistes
léninistes.
Faire de la prison, ce n’est pas chose
simple. Vous êtes condamnés à vivre dans un réduit, dans la saleté, à voir de
près la misère humaine où vivent des centaines, sinon des milliers de
prisonniers de «droit commun». La prison est faite pour les opposants au
système dominant, aux porteurs d’idées neuves. Elle est faite pour les
marginalisés, les exclus, pour les gens des bas-fonds de la société qui
commettent des actes irréfléchis, des imprudences impardonnables qui leurs
coûtent la pseudo-liberté dont ils jouissaient. Mais dans les prisons vous
trouvez aussi, et ils sont nombreuses, des victimes de l’arbitraire, des
victimes de règlements de comptes policiers, des innocents. Pour ne pas aller
en prison, il suffit de baisser la tête (pour ne pas dire la culotte), d’obéir
en «bon citoyen», d’applaudir ceux qui vous gouvernent, il suffit d’avoir du
pognon et ce, quelque soit son origine. La prison est faite pour les pauvres et
pour ceux qui refusent l’assujettissement.
Dans
les prisons du Maroc naissent des bébés, qui grandissent dans des conditions scandaleuses.
La martyre Saïda Mnebhi, communiste d’ILAL
AMAM, a écrit de prison en janvier 1977 :
Cette femme n’est pas seule
Elle est comme tant d’autres
Victime de l’exploitation
Du pouvoir des laquais
De New York et de Paris
Quand je l’ai vue
Son visage était calme
Un masque livide
Qui couve la terreur
Qui cache la douleur
Car l’homme qu’elle a aimé
Aujourd’hui l’a trahie
Il a prétexté l’adultère
Pour la jeter en prison
Et l’arracher à ses enfants
Le fer creuse son coeur
Si fort
Qu’elle a vomi du sang
Et elle est là
Gisante et souffrante
Réclamant justice à mille dieux
Mais les assassins veulent l’achever
Car elle est du peuple
Qui demain prendra l’arme
Pour la libérer.
Cette femme n’est pas seule
Elle est comme tant d’autres
Victime de l’exploitation
Du pouvoir des laquais
De New York et de Paris
Quand je l’ai vue
Son visage était calme
Un masque livide
Qui couve la terreur
Qui cache la douleur
Car l’homme qu’elle a aimé
Aujourd’hui l’a trahie
Il a prétexté l’adultère
Pour la jeter en prison
Et l’arracher à ses enfants
Le fer creuse son coeur
Si fort
Qu’elle a vomi du sang
Et elle est là
Gisante et souffrante
Réclamant justice à mille dieux
Mais les assassins veulent l’achever
Car elle est du peuple
Qui demain prendra l’arme
Pour la libérer.
Se retrouver en prison
n’est pas chose aisée, mais c’est un lourd tribut que tout militant est prêt à
payer pour des causes justes.
Lorsque l’ex petit berger
a été condamné à dix ans, il n’avait pas de responsabilités familières. Sentimentalement
il était aussi libre. Mais en 1984, il a laissé derrière lui sa compagne avec
deux jumeaux qui avaient à peine 4 mois. La donne a changé. Avec le recul, il
faut reconnaitre que les épouses, les mères, les sœurs et les amies sont celles
qui vivent le clavaire de la répression dans tout ce qu’il a d’inhumain. La
femme est classée «sexe faible», «diminuée d’intelligence» selon les
islamistes, «sources de tous les malheurs» selon toutes religions monothéistes…ce
ne sont là que des assertions mensongères, réfutables, irrationnelles et
contre-nature.
Il suffit de se pencher
sur l’expérience du mouvement des familles des prisonniers politiques au Maroc
dont l’ossature est constituée par les femmes. Il suffit de lire «Si on me
donne la parole» relatif à l’expérience de la bolivienne Domitila BARRIOS DE CHUNGARA, femme de mineur, femme au foyer
avec plusieurs enfants à charges, et qui est devenue par la suite, et grâce au
tourbillon de la lutte des classes, l’une des militantes les plus célèbres du
monde. Lisons cet extrait d’un article 19 avril 2012 Bernard
Le 12 mars, Domitila
s’est éteinte à 74 ans, au bout d’une longue lutte contre le
cancer. Les personnes intéressées par les pays « en développement » ont sans
doute lu son livre-témoignage paru en 1975 : « Si me permiten hablar » ( Si on
me donne la parole).
Elle précisait : « Je ne veux en aucun cas écrire mon livre personnel. Je pense que ma vie est liée à celle du peuple. Je veux parler de mon peuple. Je veux laisser un témoignage de toute l’expérience que nous avons acquise à travers tant d’années de luttes en Bolivie, et apporter un grain de sable avec l’espoir que notre expérience serve à la nouvelle génération ».
Elle naquit en 1937 dans le département de Potosi. Elle était fille de paysans qui migrèrent à la mine pour trouver du travail. Elle épousa un mineur et ils eurent 7 enfants. Dès 1963 elle participa activement au Comité des Femmes au Foyer. En 1975 elle participa à la Tribune de l’Année Internationale de la Femme que les Nations Unies avaient organisée au Mexique. « Ses interventions produisirent un profond impact sur les personnes présentes : c’était dû, en grande partie, à ce que Domitila vivait par elle-même ce dont les autres parlaient »
Militante infatigable, en 1978 elle lança avec quatre autres femmes une grève de la faim pour exiger la libération des dirigeants mineurs emprisonnés. A cette grève se joignirent deux prêtres jésuites, Luis Espinal -assassiné en 1980 par le régime du général Luis García Meza- et Xavier Albó, ainsi que de nombreux syndicalistes, étudiants et militants politiques et sociaux. L’initiative fut l’un des facteurs déterminants du départ du dictateur Hugo Banzer après 7 ans de pouvoir.
En 1990 elle fonde l’Ecole Mobile de Formation Politique « pour transmettre cette histoire qui n’est pas écrite et qui relate les luttes populaires et syndicales du peuple bolivien ». Ses élèves sont parfois des étudiants, ou des paysans, des clubs de mères, des syndicalistes. « Dans ma maison nous avons un petit espace où nous faisons des ateliers, des interviews, mais nous allons vers ceux qui nous appellent.Tout ce que nous demandons c’est qu’ils nous paient le transport et la nourriture. En 2008 nous avons vécu une expérience émouvante dans une petite école rurale : les enfants avaient réuni, centavito par centavito (sou par sou) la somme pour payer notre voyage ! »
L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano écrit :
« Je me souviens d’une assemblée ouvrière, il y a bien longtemps, une trentaine d’années. Une femme se leva, au milieu des hommes, et demanda quel était notre ennemi principal. Des voix s’élevèrent pour répondre : « L’impérialisme », « l’oligarchie », la bureaucratie »… Et elle, Domitila Chungara, déclara : « Non, compañeros. Notre ennemi principal c’est la peur, et nous la portons en nous ». J’ai eu la chance de l’entendre. Et je n’ai jamais oublié….
Elle précisait : « Je ne veux en aucun cas écrire mon livre personnel. Je pense que ma vie est liée à celle du peuple. Je veux parler de mon peuple. Je veux laisser un témoignage de toute l’expérience que nous avons acquise à travers tant d’années de luttes en Bolivie, et apporter un grain de sable avec l’espoir que notre expérience serve à la nouvelle génération ».
Elle naquit en 1937 dans le département de Potosi. Elle était fille de paysans qui migrèrent à la mine pour trouver du travail. Elle épousa un mineur et ils eurent 7 enfants. Dès 1963 elle participa activement au Comité des Femmes au Foyer. En 1975 elle participa à la Tribune de l’Année Internationale de la Femme que les Nations Unies avaient organisée au Mexique. « Ses interventions produisirent un profond impact sur les personnes présentes : c’était dû, en grande partie, à ce que Domitila vivait par elle-même ce dont les autres parlaient »
Militante infatigable, en 1978 elle lança avec quatre autres femmes une grève de la faim pour exiger la libération des dirigeants mineurs emprisonnés. A cette grève se joignirent deux prêtres jésuites, Luis Espinal -assassiné en 1980 par le régime du général Luis García Meza- et Xavier Albó, ainsi que de nombreux syndicalistes, étudiants et militants politiques et sociaux. L’initiative fut l’un des facteurs déterminants du départ du dictateur Hugo Banzer après 7 ans de pouvoir.
En 1990 elle fonde l’Ecole Mobile de Formation Politique « pour transmettre cette histoire qui n’est pas écrite et qui relate les luttes populaires et syndicales du peuple bolivien ». Ses élèves sont parfois des étudiants, ou des paysans, des clubs de mères, des syndicalistes. « Dans ma maison nous avons un petit espace où nous faisons des ateliers, des interviews, mais nous allons vers ceux qui nous appellent.Tout ce que nous demandons c’est qu’ils nous paient le transport et la nourriture. En 2008 nous avons vécu une expérience émouvante dans une petite école rurale : les enfants avaient réuni, centavito par centavito (sou par sou) la somme pour payer notre voyage ! »
L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano écrit :
« Je me souviens d’une assemblée ouvrière, il y a bien longtemps, une trentaine d’années. Une femme se leva, au milieu des hommes, et demanda quel était notre ennemi principal. Des voix s’élevèrent pour répondre : « L’impérialisme », « l’oligarchie », la bureaucratie »… Et elle, Domitila Chungara, déclara : « Non, compañeros. Notre ennemi principal c’est la peur, et nous la portons en nous ». J’ai eu la chance de l’entendre. Et je n’ai jamais oublié….
Cette «femme du peuple», cette
grande militante «forgée» dans le brasier de la lutte des classes, avait
déclaré «Mon peuple m'a donné ma force. Il
ne cède jamais»
Il suffit aussi de relire les
écrits de la martyre Saïda Mnebhi, marxiste léniniste marocaine pour avoir une
idée de la fidélité, de dévouement des femmes aux causes nobles qu’elles
épousent, et surtout de leur courage en tant que « sexe faible» par rapport
à la frousse de certaines (je dis bien
certaines) masses musculaires dites «sexe fort».
Zhor et d’autres dizaines de membres des familles (dont la
majorité écrasante était constituée de femmes), se présentaient tôt le matin
devant le commissariat. Après des heures et des heures d’attente, d’abord on
leur dit que les leurs ne se trouvaient pas là, avant d’admettre le contraire.
Les paniers n’arrivaient jamais aux destinataires.
Une fois les détenus en prison, il fallait que les familles
allassent chercher au tribunal une autorisation spéciale pour pouvoir les voir.
De longues queues devant le portail de la prison et ce, pour une visite d’un
quart d’heure dans conditions indescriptibles. Je n’ose même parler de brimades
et d’agressions verbales dégradantes propres au langage makhzenien.
Heureusement que la plupart de ces femmes étaient de véritables tigresses,
toujours prêtes à sortir leurs griffes face aux malpropres et autres prédateurs.
Les familles des
prisonniers politiques marxistes léninistes avaient occupé le local de la
représentation de l’ONU à Rabat, puis le ministère de la justice…manifesté dans
les rues, devant les prisons, devant les commissariat… la résistance des
familles des détenus politiques marocains est une véritable épopée que
l’Histoire officielle taira, que les scribouilleurs de l’Histoire «non
officielle» essayeront de minimiser, sinon ignorer. La myopie de classe sociale
oblige !
Zhor a eu la chance d’avoir avec elle une cousine venue des
montagnes de l’Atlas pour l’épauler côté maison, le soutien effectif d’une de
ses sœurs, et aussi la chance de bénéficier de la solidarité agissante, des
amies telle que Samira Kinani. Pour résumer je dis simplement que Samira était
et est toujours extraordinaire ! Les camarades d’ILAL AMAM étaient là
aussi.
A suivre
12 mois 13 jours d’emprisonnement :
Quelle riche expérience !
Au cours de cette
détention arbitraire, et malgré ses difficiles conditions, l’ex berger a pu se
rattraper en informations relatives à la réalité politique du pays. C’était
très enrichissant. Je me limite à citer certains faits.
– La rencontre avec des cadres de la gauche de
l’USFP, ceux qui allaient par la suite constituer le PADS, lui a permis de
mieux cerner les luttes de classes qui secouaient le plus grand parti de
l’opposition et l’implication directe du palais dans ces luttes. L’Etat n’a pas
hésité à intervenir directement le 8 mai 1 983 pour arrêter les militants
dévoués aux causes des masses populaires, épaulant ainsi le bureau politique
composé essentiellement des représentants des couches sociales dont les
intérêts fondamentaux sont liés aux intérêts des classes réactionnaires
dominantes.
Le communiste a longuement discuté avec le
grand militant Ben Amre, aujourd’hui (2012) leader du PADS. Il a trouvé en lui
un militant progressiste, anti makhzenien convaincu, un dévoué aux causes des
humbles. Un militant honnête et modeste. La gauche marocain a besoin de ce type
de militants.
– Le communiste a eu des discussions avec
Cheikh Yassine, aujourd’hui leader d’Al Adl Oua Al Ihsane. C’est un grand
homme, un grand intellectuel (il maîtrise aussi bien l’arabe que le français).
Anti makhzenien convaincu. Leurs diagnostiques politiques de la situation
étaient les mêmes. Ils étaient d’accord sur la nécessité de changement et sur
l’impératif engagement actif. Le changement ne peut se faire de l’intérieur des
institutions makhzeniennes.
Les divergences (divergences
exprimées dans des formulations respectueuses), concernant l’alternative.
Cheikh Yassine défendait des projets qui auraient existé dans le passé. Pour
l’ex berger, historiquement, ces projets n’ont jamais existé, et de toute façon
ils sont irréalisables dans la réalité actuelle de l’Humanité.
Ils avaient discuté
philosophie. Cheikh Yassine n’a pas été choqué par l’approche matérialiste et
dialectique de l’ex berger.
Les autres tendances politiques, y compris
les 5 jeunes islamistes arrêtés en janvier 1984, refusaient d’approcher le
leader islamiste. Il vivait replié sur lui-même. Il occupait une cellule
individuelle.
Pour les prisonniers
politiques, et à part la grande porte du quartier, les portes des cellules
restaient ouvertes. C’était un acquis arraché au prix de protestations et de
sit in.
Un soir, et grâce à des
« tuyaux » spéciaux, on apprit que Cheikh Yassine était dans la grande
cour, refusant de regagner sa cellule. Le sang coulait de son nez. La majorité
des prisonniers politiques refusèrent d’exprimer leur solidarité. L’ex berger
fut scandalisé par cette attitude négativiste. Ali Fkir et Omar Zaïdi, ont pu
tromper la vigilance du gardien et descendirent dans la cour. Cheikh Abdeslam
Yassine, était assis, du sang coulait de son nez. On apprit de sa bouche qu’il
a été agressé par le chef de détention (différent du directeur de la prison).
L’ameute des gardiens, à leur tête l’agresseur, arriva. Echange de mots. Zaïdi
et Fkir exigèrent du « chef » de présenter d’abord ses excuses à la
victime, avant de parler d’autres choses. Le bourreau commença à se justifier,
en terminant par la phrase suivante : celui-là et ses semblables sont
prêts à vous égorger vous progressistes. Vous êtes leurs premiers ennemis. Fou
de rage, fkir répondit : c’est un prisonnier politique comme nous. Nous
sommes tous les victimes de la répression du makhzen. Zaïdi intervint dans le
même sens. On prétendit qu’on était là au nom de tous les prisonniers politiques
du quartier moderne. Ce qui était faux, mais il fallait bluffer.
Après d’âpres discussions, de coups de
fil…l’agresseur baisa la tête du Cheikh, lui présenta ses excuses, et lui
demanda pardon.
Cheikh dit à haute voix :
qu’Allah pardonne الله يسمح) ). Merci les amis !
Les deux marxistes léninistes accompagnèrent
l’islamiste Cheikh Yassine jusqu’à sa cellule. On se souhaita une bonne nuit.
L’ex berger a toujours essayé de ne pas
oublier le principe de la stratification des contradictions. Dans tout conflit,
il faut toujours déterminer la contradiction principale.
– Il avait eu aussi d’occasion de faire
connaissance de :
*
Laâziz le leader actuel (2012) du CNI. Militant aimable, mais difficile à
« déchiffrer» politiquement et idéologiquement.
*Mohamed
Moujahid, ex patron du PSU, très sociable, aimable et honnête militant. Il
représentait dans le temps la tendance «dure» des « Quaïdyines ». ILA
AMAM et ses sympathisants dans le milieu estudiantin étaient pour lui des réformistes qu’il fallait critiquer.
*
Mustapha Khalid, extraordinaire militant, humble, modeste. Il a été réélu par
ses camarades membre du Comité national d’ANNAHJ ADDIMOCRATI lors du 3ème
congrès tenu à Casablanca les 13,14 et 15 juillet 2012.
*
Grine, membre du bureau politique (2012) du PPS. Connu pour sa discipline
partisane. Il refusait d’assister à toute discussion qui remettait en question
la tyrannie de Hassan II. Il avait déclaré qu’il tenait, tel son parti, aux
valeurs sacrées du pays.
*
Omar Zaïdi, ancien cadre de « Line nakhdoume achchaâb», actuellement
(2012) il est l’un des dirigeant du parti des verts.
*Sebbar Mohamed, secrétaire général aujourd’hui
du CNDH (2012) et ex cadre du PADS, ex président du FMVJ…
*Abdelkhalek Benzekri, ex membre du bureau
exécutif de l’UNEM (15ème congrès)…, il est aujourd’hui (2012) l’un
des infatigables et incontournables militants de l’AMDH.
*
Abdelghani Raki, « quaïdi » dans le temps, aujourd’hui cadre du CNI
et de la CDT.
* Gmira, tendance « dure » des
quaïdyines, aujourd’hui cadre du PSU.
* Abderrahim Tafnaout, ex «quaïdi», le courant
ne passait pas entre lui et la tendance « dure ». Ils se retrouvent aujourd’hui
au sein du PSU pour un même idéal. Il faut reconnaitre qu’il est resté fidèle à
lui-même. Ce sont les autres qui ont changé.
Je
me limite à ces cas-là.
En été 1984, des militants qui avaient essayé
de reconstituer « 23 mars », avaient été enlevés, torturés dans les
centres secrets de torture, et puis coffrés à la prison Laâlou de Rabat.L’ex
berger retrouva son ami Abdelilah Benabsalem. En plus de ce dernier grand
militant, de cet incontournable militant des droits humains, il y avait
Abdelghani Qabbaj, aujourd’hui membre de la direction du PSU, de Boukarrou,
Alami, El Fahli…C’était des militants extraordinaires, dévoués, honnêtes et modestes.
L’été 1984, c’était aussi la grève héroïque de
la faim, observée par des militants arrêtés en janvier 1984, essentiellement à
Marrakech. Cette grève fut la plus longue de l’Histoire du Maroc. Les martyrs
Boubker Douraïdi et Mustapha Belhouari y laissèrent leurs vies respectivement
le 27 août (à Essaouira), et le 28 août (à Safi). Des mois après, Le martyr
Abdelhak Chbaba allait perdre la vie dans les mêmes conditions à la prison
Laâlou de Rabat.
En
cet été aussi, et sous la pression du
mouvement des familles, de l’opinion publique nationale et internationale, et
pour créer du cafouillage autour de la grève de la faim héroïque des détenus de Marrakech, Hassan II a été
acculé à libérer des dizaines et des dizaines de détenus politiques qui
végétaient en prison depuis plusieurs années,
parmi eux se trouvaient les derniers détenus de 1972, ceux du procès de
1977…Toutefois , il n’était pas question pour le régime de relâcher une
quarantaine de «têtes dures» d’ILAL AMAM. Il fallait attendre 1989 pour qu’il
relâchât les autres à l’exception toutefois des « durs des
durs » : Abraham Serfaty, Ahmed Aït Bennacer et Abdellah Elharif.
Ahmed Rakiz, ex militant de 23 mars allait être gardé aussi en prison pour
d’autres motifs. Il fallait attendre presque 3 années pour que le régime
expulsât Serfaty prétextant qu’il n’est pas marocain ( ???!!!). Du pur
Kafka ! et qu’i relâchât les autres.
Cette nouvelle détention qui avait duré 12mois
et 13 jours est une riche expérience pour l’ex petit berger. Il a pu vivre,
discuter, débattre, et rigolé avec des dizaines de militants d’horizons
politiques divers, de «générations» différentes. La cohabitation était
caractérisée par le respect mutuel. AUCUN incident majeur. Les jours passés
dans la cellule 13 resterons (positivement) inoubliables. Ce passage a pu
effacer l’amertume laissée par les 33 mois (septembre 1979 au juin 1982) passés
au quartier A de la prison de Kénitra.
Le 5 février 1985, après 12 mois et 13 jours
de détentions arbitraire, l’ex petit berger retrouva la rue, retrouva sa petite
famille, ses camarades et ses amis. Ils étaient là nombreux à attendre ceux qui
ont purgé leurs peines et à leurs têtes Zaïdi et Fkir. L’ex petit berger leva
haut son poing gauche en signe de défi, en signe de résistance, en signe de
fidélité à la cause pour laquelle se sont sacrifiés Zeroual, Saïda, Jbiha, Ben
Berka, Cheikh Al Arab, Dahkoun , Grina, Douraïdi, Belhouari et tant d’autres.
Ils sont des milliers à mourir sous la torture et à tomber sous les balles du
régime.
Le ministère de l’éducation nationale refusa
de le reprendre, et refusa de le rayer de la fonction publique. Il se retrouva
ainsi dans une situation qui ne peut être décrite que par Kafka. Pour
travailler dans le privé, il fallait qu’il soit « répudié » par
l’Etat. C’est comme le divorce et le «re-mariage » (pardon académie
française !). Heureusement que Zhor avait pu réussir le concours d’entrer
à la Faculté des sciences de l’éducation.
L’ex petit berger n’avait comme possibilité
que de bosser dans l’informel, en tant que «marchand» d’alphabets et de
chiffres dans des instituts privés, rémunéré à l’heure effectuée. Il aura
attendu plus de trois ans pour qu’il fût réintégré, et deux années pour qu’on
le payât. Pendant ces deux années on lui disait que le roi avait ordonné de les
réintégrer mais il n’avait pas demandé à ce qu’ils fussent payer !!! C’est
de l’incroyable ! Ils étaient, se je me rappelle, bien 42 cas dans cette
situation irrationnelle.
En 1992, il rejoignit l’Ecole normale
supérieure de l’enseignement technique, l’ENSET, pour contribuer à la formation
des enseignants des matières d’économie et de gestion. Il allait assurer
pendant une dizaine d’années la coordination de cette section.
A la réception organisée à l’occasion de son
«départ en retraite», l’ex petit a eu le plus beau cadeau de sa vie. VRAIMENT
le plus beau! L’association des fonctionnaires de l’Ecole, les étudiants et les
enseignants en plus, de beaux souvenirs, lui offrirent un grand tableau
artistique représentant : LA FAUCILLE, LE MARTEAU et LE LIVRE, symbole du
prolétaire, du paysan pauvre et de l’intellectuel révolutionnaire. Qui a eu
l’idée ? l’ex petit berger l’ignore jusqu’aujourd’hui. Cela fut préparé
dans le secret le plus absolu. Même Zhor fut «prise au dépourvu». Quel est l’artiste
qui avait confectionné ce tableau ?
Très
ému, mais maître de lui, l’ex petit berger qui devint communiste, dit entre
autres : «en tant que marxiste j’ai toujours essayé de faire mon
travail consciencieusement, j’ai essayé de cultiver la tolérance, je n’ai
jamais fait de différence en clase entre le barbu et le sans barbe, entre la
voilée et la-sans- voile… , j’ai toujours demandé aux futurs professeurs,
d’oublier leurs problèmes pendant les cours, mais de faire le syndicalisme, la politique , de lutter
pour leurs légitimes droits mais surtout, SURTOUT, pas au détriment des cours,
au détriment des enfants du
peuple… ».
L’enseignant
d’économie et de gestion avait comme credo : il n’y a pas de mauvais
élèves, mais il y a des mauvais enseignants.
Le
retraité n’a jamais eu de problème particulier aussi bien avec ses
élèves/étudiants qu’avec ses collègues et les gens de l’administration.
Il n’y a rien de bon et de beau que de travailler dans
l’enseignement et dans la santé. C’est du moins la conviction de celui qui est
né dans une minuscule tente dans les plateaux désertiques de Beni Tadjit, qui a
grandi avec d’inoubliables animaux jusqu’à 11ans. Celui qui quitta en famille
la vie pastorale pour s’installer au centre minier de Beni Tadjit. Son
itinéraire a été décrit dans (ses grades lignes) dans cette modeste
autobiographique écrite et ce, suite aux demandes répétées de mes très chers
enfants. J’espère avoir le temps de revenir en détails sur l’après 1984.
Fin
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