Le makhzen comme concept
Le makhzen exprime une réalité très complexe. C’est un système historiquement bâti autour du sultan. Pour les citoyens, le makhzen signifiait le pouvoir central, signifiait la répression, le pillage, la harka sanguinaire.
Aujourd’hui, et malgré les mutations socio-économiques, le fond reste le même. Le makhzen dont le noyau central n’est autre que l’institution monarchique, reste un système étouffant à tous les sens.
Il représente ce qu’il y a de plus hideux comme visage du bloc des classes dominantes.
Le concept makhzen exprime une réalité à visages multiples :
- Un visage « physique/matériel/corporel » : du sommet de l’Etat à l’indicateur du coin en passant par le ministre, le wali, le gouverneur, le pacha, le caïd, le khalifa, le gendarme, le cheikh, l'imam…
- Un visage « immatériel, incorporel » : l’ensemble des rapports d’assujettissement, de domination, de terreur.
Donc le mkhzen est un système comprenant des institutions et des rapports militaires, idéologiques, politiques et économiques. Sa reproduction « élargie » (son « hégémonie » s’étend aux autres sphères qui sont engendrées par le capitalisme au temps de la mondialisation), est assurée :
- Idéologiquement par la mosquée, l’école, les mass-media, les associations religieuses...
- Politiquement par l’ensemble des institutions (parlement, partis monarchistes…)
- Militairement par les différentes forces de répression (armée, police, gendarmerie….)
Ce système permet l’émergence et l’épanouissement non seulement des classes dominantes liées au mode de production capitaliste tels la bourgeoisie capitaliste, les capitalistes agraires, la bourgeoise bureaucratique composée des hautes fonctionnaires de l’Etat (militaires et civils), mais aussi des couches sociales composées de truands/trafiquants liés à la drogue, des marchands de sexe, des spéculateurs fonciers…et autres parasites sociaux.
Dans ce système, les producteurs de richesses (ouvriers, paysans, artisans…), sont soumis non seulement à l'exploitation classique (produire la plus-value, matérialisation de l'exploitation capitaliste), mais aussi à l’enfer de l’arbitraire, car au fond le makhzen reste un système basé sur « le non droit ». Des textes sont produits pour leurrer aussi bien le peuple que l’opinion extérieure.
Pour définir le makhzen, nous devons éviter deux erreurs réductrices :
- Réduire le mkhzen à l’institution monarchique ou au roi.
- Exclure l’institution monarchique de ce système médiéval. Cette institution reste le cœur de ce monstre tentaculaire.
Le makhzen est une toile d’araignée, est un marécage de sables mouvants. Toute personne qui s’y approche ne pourra plus retrouver sa « liberté ». Ils sont nombreux ceux (hommes et femmes) qui ont tenté de réaliser des réformettes de l’intérieur de ce système, mais quelques années après, usés par le « service » de « femme de ménage » tel qu’il a été défini par Driss Basri, ils ont été jetés par leurs maîtres dans les oubliettes de l’Histoire. Ayant perdu crédibilité et estime, ils n’osent même pas se présenter devant leurs anciens compagnons de combat.
Le makhzen n'est pas un personnage, ni même une institution. C'est un système social économique, politique et idéologique.
Les militants qui luttent sur le terrain, qui sont impliqués dans la résistance quotidienne des masses populaires doivent « inciter » (par l’opération de prise de conscience) les victimes du système (les travailleurs, les marginalisés, les exclus…) à lutter contre toutes les formes et autres appendices locaux du makhzen : du caïd, au mokaddem en passant par l’iman qui véhicule les « messages et autres directives qui viennent de Rabat). Il faut expliquer aux « fidèles » que lorsque l’imam répète tel un perroquet : « Dieu glorifie le sultan et calme les pays » (الله انصر السلطان و أهدن الأوطان), il ne fait reconnaître malgré lui que le makhzen est « en guerre » contre « l'opposition » et que la paix souhaitée ne pourrait être que la défaite du peuple face au makhzen. Cette « prêche » n’est enfin de compte que la reconnaissance de la contradiction principale qui traverse la formation sociale marocaine. Les deux aspects de cette contradiction sont, d’un côté le bloc des classes dominantes dont le porte parole n’est autre que le Roi, de l’autre côté le peuple (composé des classes sociales qui souffrent de la domination du premier bloc). La lutte de ces deux aspects est la moteur de l’histoire de notre société. Les événements du Rif (1958/59), 1963, 1965…jusqu’aujourd’hui, en passant par 1981, 1984, et surtout 2011 ne sont que des « manifestations cutanées » de cette lutte de classe.
Le concept du mkhzen reflète la réalité de notre société des classes antagonistes. Ignorer cette réalité et réduire le premier aspect de la contradiction au Roi est une dérive « gauchiste » anti-marxiste qui ne peut être « épousée » que par des gens qui ne sont pas impliquées dans les luttes quotidiennes des masses laborieuses, des masses populaires dominées. A l’opposé, ceux qui prétendent que le Roi est au-dessus de la lutte des classes, un bon roi qui est entouré des mauvais individus tels les « afarites, les crocodiles العفاريت، التماسيح… », ceux-là constituent la cale qui n’est là que pour tenter d’arrêter la marche de l’Histoire.
Ali Fkir, le 24 avril 2017. Ancien article, enrichi aujourd’hui.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire