Sur la Crise du Régime des Pensions Civiles de la CMR :
Non au « trio maudit » dans sa version gouvernementale
Et dans sa version présentée par le CESE
Par Abdelhamid AMINE
Membre du Secrétariat National issu du 10ème Congrès National de l’UMT
Militant de l’UMT-Tendance démocratique
1/ Le 29 Octobre 2014 était une journée historique pour les travailleurSEs du Maroc, qui ont à l’appel de l’ensemble des Centrales et Organisations Syndicales – exceptée celle liée au parti du Président du gouvernement – organisé avec un succès sans précédent une grève générale nationale unitaire et préventive de 24h.
Dans la soirée, dans une émission en direct de la 2ème chaine (2M), le porte-parole du gouvernent annonçait comme un défi au mouvement syndical, qui venait juste de réussir sa grève historique, que le gouvernement allait tout à la fois procéder à un prélèvement général sur les salaires des grévistes et poursuivre sa réforme des retraites selon la stratégie du « trio maudit » : augmenter les prélèvements sur salaires des fonctionnaires, diminuer les pensions et augmenter l’âge de la retraite.
Le lendemain 30 octobre, le Conseil Economique, Social et Environnemental allait tenir une assemblée générale extraordinaire pour adopter à la majorité relative de ses membres son avis relatif au projet gouvernemental sur la « réforme » du régime des pensions civiles de la Caisse Marocaine de Retraite (CMR)
Rappelons que le débat sur cette question traine depuis l’année 2003 sans arriver à une solution, alors que les problèmes continuaient à s’accumuler.
Le 18 juin dernier, le gouvernement a réuni les cinq centrales dénommées « les plus représentatives » pour leur exposer le plan gouvernemental pour sortir de la crise.
Ce plan connu populairement sous le nom de « trio maudit » a été refusé par les quatre centrales syndicales, la 5ème progouvernementale ne pouvait que l’accepter ; à la demande du président du gouvernement, les trois centrales – UMT, CDT, FDT – qui coordonnent leurs actions depuis le 29 janvier de cette année ont adressé au gouvernement leur point de vue par écrit, moins d’un mois après cette réunion. Au lieu d’ouvrir des négociations avec les syndicats sur la base de leurs propositions, le président du gouvernement a voulu se décharger de ce fardeau en saisissant le 1er août dernier le CESE pour lui demander son avis consultatif sur le plan gouvernemental.
2/ En quoi consiste le plan gouvernemental pour la sortie de crise du régime des pensions civiles de la CMR ?
+ Relever l’âge de la retraite qui devra passer de 60 ans actuellement à 62 ans le 1erjuillet 2015, et qui devra être augmenté progressivement de 6 mois chaque année, pour arriver à 65 ans le 1er juillet 2021.
+ Augmenter le prélèvement sur salaire des fonctionnaires actifs de 4% (2% le 1erjuillet 2015 et 2% le 1er juillet 2016) pour passer de 10% actuellement à 14% en juillet 2016. Une contribution similaire reviendra au gouvernement, faisant passer ainsi la participation globale de l’Etat et des fonctionnaires de 20% à 28%.
+ Diminuer la valeur des pensions de retraite par deux mécanismes complémentaires :
- Calculer la pension sur la base de la moyenne des salaires des huit dernières années avant la retraite, au lieu de la calculer sur la base du dernier salaire mensuel perçu avant la retraite.
- Baisser le ratio d’annuité pour le calcul des pensions de 2.5% à 2% pour tous les droits qui seront acquis à partir du 1er janvier 2015, en maintenant le ratio de 2,5% pour les droits acquis avant cette date.
+ Augmenter la période de travail donnant accès à la possibilité de bénéficier de la retraite anticipée – à condition d’être autorisée par l’administration et dans la limite du nombre des postes attribués – pour la fixer à 26 ans pour les hommes et 20 ans pour les femmes (au lieu de 21 ans et 15 ans respectivement actuellement) et augmenter la période de travail donnant accès sans conditions à la retraite anticipée pour la fixer à 36 ans au lieu de 30 ans actuellement.
Tout cela en diminuant la pension de retraite anticipée en la calculant sur la base du taux annuel de 1.5% au lieu de 2% actuellement.
Toutes ces mesures, qui vont totalement à l’encontre des acquis des fonctionnaires dans le domaine de la retraite, auront pour conséquences néfastes :
- L’appauvrissement du fonctionnaire qu’il soit actif – par le biais des prélèvements sur des salaires eux-mêmes en stagnation dans une période de hausse continue du coût de la vie – ou retraité par le biais de la diminution des pensions d’au moins 25% par rapport à leur valeur actuelle.
- La poursuite de l’effort et de la peine au travail pour des catégories importantes de fonctionnaires dont les capacités physiques et morales sont réduites après l’âge de 60 ans et même avant, avec l’augmentation de la pénibilité du travail et l’abaissement de la rentabilité – quantitativement et qualitativement – surtout dans le domaine de l’enseignement et de la santé.
- La privation de très nombreux diplôméEs enchômagés de l’accès à la fonction publique, accès qui rajeunit et dynamise le secteur public et qui génère des ressources financières nouvelles pour le régime de retraite tout en diminuant le taux de chômage.
3/ Pour faire face au plan gouvernemental visant à régler la crise sur la base de la destruction des acquis des fonctionnaires, et en visant leurs portefeuilles et leur bien-être, le mouvement syndical marocain, même s’il n’a aucune responsabilité directe quant à ses causes, a cherché à avancer des solutions.
Sans entrer dans les détails, je me contenterai ici d’exposer le point de vue de « la tendance démocratique » au sein de l’UMT publié dans la déclaration de son secrétariat national datant du 26 août dernier et dont la teneur était la suivante :
Il est nécessaire de prendre en considération les intérêts actuels des fonctionnaires actifs et leurs intérêts à venir en tant que retraités à travers :
+ La préservation de l’ensemble de leurs acquis pour ce qui concerne l’âge de la retraite, le taux de prélèvement des salaires pour financer la CMR (10%), la base de calcul de la valeur de la pension de retraite (salaire du dernier mois travaillé, 2.5% pour chaque année travaillée) et les conditions de la retraite anticipée.
+ Paiement par l’Etat de toutes ses obligations accumulées depuis des dizaines d’années à l’égard de la CMR, après actualisation de leur valeur.
+ Paiement par l’Etat (comme c’est le cas pour les régimes des pensions militaires de la CMR, pour la CNSS et pour le RCAR) de 2/3 du montant du financement de la CMR (au lieu de la moitié actuellement) et limiter la participation du fonctionnaire au tiers de ce montant ; ceci exige l’augmentation de la participation étatique pour passer progressivement de 10% du montant du salaire à 20% et la stabilisation de la participation du fonctionnaire à 10% du montant de son salaire jusqu’au moment où la participation étatique arrivera à 20%.
+ Élévation du recrutement par la fonction publique et territoriale et par le secteur public en général pour améliorer leur efficacité ainsi que le facteur démographique (concernant le ratio des actifs par rapport aux retraités) et pour diminuer le chômage, surtout pour les titulaires des diplômes supérieurs.
+ Bonne valorisation des réserves financières de la CMR dans le cadre de projets économiques rentables financièrement et socialement (institutions sociales utiles dans les domaines de la santé, du logement, du loisir pour les retraitéEs et leurs ayants droits).
+ Participation des fonctionnaires et des retraitéES à travers leurs représentants syndicaux à la gestion des affaires de la CMR et mise en œuvre des principes de transparence et de bonne gouvernance dans cette gestion.
+ Amélioration des conditions de vie du fonctionnaire retraité et ses ayants droits, notamment par l’augmentation de la pension de retraite minimale et sa fixation au niveau du salaire minimal dans la fonction publique, la suppression de l’impôt sur la pension de retraite, l’adoption du système de l’échelle mobile des prix et des pensions, une importance accrue pour les œuvres et services sociaux en faveur des retraitéEs.
4/ Qu’en est-il de la teneur de l’avis du CESE sur le « plan de réforme gouvernemental » et plus précisément sur les projets de loi N°71.14 complétant et modifiant la loi N°011.71 du 30/12/1971 instituant un régime de pensions civiles et au projet de loi N°72.14 complétant et modifiant la loi N°012.71 du 30/12/1971 fixant la limite d’âge des fonctionnaires et agents de l’Etat, des municipalités et des établissements publics affiliés au régime des pensions civiles, projet de loi sujets de la saisine du chef du gouvernement en date du 1er août 2014.
++ Notons tout d’abord que la quasi-totalité du mouvement syndical marocain a dénoncé l’acte de saisine du CESE estimant que le dossier aurait du être traité au niveau des mécanismes appropriés : négociation sociale ou commission nationale de la retraite.
Pour ce qui concerne la « tendance démocratique », nous ne nous sommes pas contentés de communiqués, mais nous sommes passés à l’acte en organisant deux sit-in en septembre et début octobre derniers devant le siège du CESE qui a lors de ses travaux pu entendre les voix des protestataires. Je pense que ces protestations ont eu un écho au moins au niveau des représentants des salariés qui en général se sont opposés non seulement au sinistre plan gouvernemental mais également au point de vue majoritaire au sein de la commission Ad hoc mais également de la 1èreAssemblée générale qui devait adopter l’avis du CESE et de l’Assemblée générale extraordinaire du 30 octobre 2014.
++ Rappelons tout d’abord que l’avis du CESE a été tranché suite à un vote, et c’est la première fois qu’il en est ainsi, puisque tous ses avis antérieurs étaient adoptés par consensus.
Notons également que le vote était serré : selon les informations véhiculées par la presse, sur les 101 membres du CESE seuls 43 membres ont voté pour, tandis que 23 ont voté contre, et le reste, 35 étaient soit absents soit se sont abstenus ou n’ont pas pris part au vote.
C’est donc un avis qui a peu de poids, outre qu’il est consultatif.
++ Je tiens au passage à saluer la position des représentants des syndicats, qui en dehors des « syndicalistes gouvernementaux » ont voté contre l’avis du CESE ; c’est une position juste dont tout le monde devra se souvenir et surtout certains dirigeants syndicaux qui ont une tendance maladive au compromis, sinon à la compomission ; l’un deux n’a-t-il pas juste après la parution du communiqué du CESE crié victoire sur le gouvernement Benkirane comme si la bataille était une bataille de coqs entre ce gouvernement et son opposition au lieu de la considérer comme une bataille contre le système makhzénien et son gouvernement réactionnaire à la solde des institutions financières impérialistes qui imposent leurs dictats aux travailleurSEs et aux masses populaires de notre pays par gouvernement interposé.
Oui, il faudra que les dirigeants des centrales syndicales se rappellent la juste position des représentants des syndicats au CESE ; il faudra purement et simplement rejeter l’avis consultatif du CESE, cette autre version du « trio maudit » défendu par le gouvernement. Demain peut-être les dirigeants des centrales seront invités au dialogue social ; il faudra qu’ils soient en concordance avec leurs représentants au CESE pour ne pas tomber dans l’absurde.
++ Revenons maintenant au contenu de l’avis du CESE ; prenons des précautions : jusqu’à présent je n’ai eu accès qu’au communiqué de presse en Français sur lequel je vais me baser pour évaluer le contenu de l’avis ; malheureusement, même la presse n’a pu assister à l’AG du 30 octobre ; quand je lirai le rapport final présenté au gouvernement, peut être j’aurais à reformuler certaines de mes idées, mais sur le détail seulement.
+ Que nous dit le Communiqué de presse sur l’avis du CESE ?
Pour ce qui est de l’âge du départ à la retraite, le CESE propose de le relever à 63 ans (au lieu de 60 actuellement) et d’y arriver progressivement dans 6 ans à raison de 6 mois par an.
Le CESE propose également d’ouvrir la possibilité à ceux qui le souhaitent d’opter pour l’option de départ à la retraite à l’âge de 65 ans en accompagnant cette mesure par l’introduction d’un échelon supplémentaire dans la grille de la fonction publique permettant aux affiliés d’améliorer la base de calcul de leurs pensions. Dans ce cadre le CESE appelle à évaluer, au bout de deux ans, les résultats des mesures mises en place et à en évaluer l’impact sur la viabilité du régime.
Autrement dit le CESE propose une augmentation obligatoires de l’âge de la retraite pour le fixer dans un 1er temps à 63 ans et facultativement à 65 ans avec une évaluation qui pourra, comme je le pense, amener également à le fixer à 65 ans de manière obligatoire et la boucle sera bouclée: Benkirane et Baraka ont donc une même vision sur ce point mais nuancée chez Baraka pour pouvoir faire avaler la couleuvre.
+ S’agissant de l’accroissement des prélèvements sur salaire pour financer la CMR, le CESE fait semblant d’adopter la formule générale de 1/3 pour les salariés et de 2/3 pour l’Etat employeur ; en fait il ne propose cette formule que pour la contribution nouvelle de 8% qui doit s’ajouter aux 20% prélevés actuellement ; il aboutit à une contribution salariale de 12.5% et à une contribution étatique de 15.5% soit 45% pour les salariés et 55% pour l’Etat ; on est loin de la règle 1/3, 2/3.
En fait comme proposé plus haut, le respect de cette règle devrait d’abord amener l’Etat à faire passer sa contribution de 10% actuellement à 20%, tout en stabilisant celle des fonctionnaires à 10%. Une fois atteinte la contribution globale de 30% et s’il y a besoin de financement supplémentaire, à ce moment le fonctionnaire participera pour 1/3 et l’Etat pour 2/3.
Il faudra ajouter que le CESE va plus loin que le gouvernement dans la liquidation des acquis des fonctionnaires puisqu’il envisage de distinguer pour le régime des pensions civiles entre une tranche de base – qui seule pourra connaitre un financement selon la règle 1/3, 2/3 – et une tranche complémentaire qui obéirait à une autre règle, celle peut être de moitié-moitié appliquée actuellement pour le régime des pensions civiles de la CMR.
+ Concernant la base de calcul des pensions civiles de la CMR, cette question est totalement escamotée par le Communiqué du CESE, alors qu’elle est d’une importance vitale : va-t-on calculer les pensions sur la base de 2.5% ou de 2% ? va-t-on les calculer sur la base du dernier salaire ou de la moyenne des salaires des huit dernières années ?
Il s’agit là d’une différence dans les valeurs des pensions allant de 25% à 30% !! Comment peut-on omettre d’évoquer cette question ? C’est de l’irresponsabilité.
En outre comment va-t-on régler la question du départ anticipé à la retraite ? Sur l’ancienne base (30 ans comme âge de départ et 2% comme taux annuel de calcul des pensions, ou 36 ans et 1.5% ?)
+ Le CESE, malgré le fait qu’il n’était pas sollicité pour donner son avis sur l’imbrication des réformes des différents régimes de retraite, s’est permis – tout en escamotant la question du régime des pensions militaires de la CMR, considérée injustement comme tabou – d’évoquer la réforme du RCAR et de la CNSS en envisageant la possibilité de repousser pour ceux qui le souhaitent l’âge de la retraite à 65 ans.
Mais ce qui est plus insidieux c’est le lien entre réforme de la CMR et du RCAR.
Au nom de l’unification de ces deux régimes dans l’avenir, ce qui se profile à l’horizon, c’est une toute légère amélioration du RCAR avec une grande régression pour la CMR, alors qu’au nom de cette même unification nous avons proposé de rapprocher les conditions de retraite des adhérents au RCAR des conditions de retraite actuelles du régime des pensions civiles de la CMR.
Pour résumer le pôle public que nous souhaitons dans le domaine de la retraite ne peut être une convergence vers les conditions du RCAR (même légèrement amélioré) mais une convergence vers un système préservant les acquis fondamentaux du régime de la CMR, bien meilleur actuellement que celui du RCAR
+ Un point positif à noter dans l’avis du CESE, c’est celui évoqué dans le dernier paragraphe de son communiqué de presse où il « appelle à instaurer les principes de gouvernance participative et de transparence basée sur une clarification des prérogatives de gestion et de gouvernance, en s’assurant de la représentativité effective de toutes les parties prenantes, notamment de l’Etat, des employeurs et des centrales syndicales les plus représentatives.
+ Pour terminer, on ne peut que déplorer – comme c’était attendu – le fait que le CESE ne s’est pas éloigné dans son avis sur le régime des pensions civiles de la CMR des propositions du gouvernement qui sera ainsi conforté par la position du CESE.
Quoi qu’il en soit, je pense que le gouvernement comme le CESE c’est blanc bonnet-bonnet blanc et que le combat contre la liquidation des acquis du régime des pensions civiles de la CMR va continuer sous le mot d’ordre « non au trio maudit » et que ce combat, sera mené en parallèle avec le combat unitaire de l’ensemble des travailleurSEs et des masses populaires contre le cherté du coût de la vie, pour l’augmentation générale des salaires et des pensions de retraite ? Pour l’unification du SMIG-SMAG et sa fixation à 3500 dh par mois, pour le respect des libertés en général et des libertés syndicales et notamment le droit à l’organisation et le droit de grève, contre la précarité de l’emploi et pour sa stabilité et contre les violations de la législation du travail.
C’est dire que des luttes puissantes, des grèves générales unitaires plus massives et combatives attendent les travailleurSEs et les masses populaires.
Mais on ne pourra oublier que ce combat syndical devra aller de pair avec le combat du mouvement du 20 février contre le despotisme, l’injustice et la prévarication et pour un Maroc démocratique garantissant à tous ses citoyens et citoyennes dignité, liberté, égalité, justice sociale et droits humains pour tous et pour toutes.
Le 1er Novembre 2014
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire