Universitaire
ou inquisiteur?
Le vide que vit « le champ intellectuel politico-social» vient d’être partiellement comblé.
Trois revues viennent
d’avoir le jour et ce, suite aux initiatives de personnalités dont le
"cursus intellectuel" n’est pas à démontrer. Ces trois
« saisonnières » publications constituent un apport positif dans
le « processus de production théorique » et de clarification
idéologique qui doivent nécessairement accompagner les luttes politico-sociales
que connait le Maroc, luttes qui se radicalisent de plus en plus depuis février
2011.
Ces trois revues,
à indiscutable haute qualité, reflètent grosso-modo, trois approches politiques différentes.
Il faut reconnaître que les « commanditaires » ont utilisé de gros
« moyens humains ».
- La revue « attaharor »/"التحرر" ,
arabophone, a vu le jour en 2014, à référentiel marxisant. Elle
est ouverte sur le monde arabe.
- La revue Arrabiï «الربيع"/,
arabophone, a vu le jour en 2015, éditée par le « Centre d’Etude et
de Recherches M. Bensaïd ait Idder »
- La revue « APOLEIUS »/ "ابوليوس",
franco-arabophone, a vu le jour en 2015, éditée par un groupe
« d’enseignants-chercheurs », pratiquant essentiellement à
l’Université Hassan II de Casablanca.
Sans grandes difficultés, nous pouvons situer
théoriquement les trois publications ainsi :
- « ATTAHAROR »
proche des thèses d’ANNAHJ ADDIMOCRATI (la VOIE DÉMOCRATIQUE).
Son directeur n’est autre que Abdellah El Harif, l’ex secrétaire national
d’ANNAHJ. Rappelons qu’ANNAHJ ADDIMOCRATI milite pour un changement radical et
ne plafonne en aucun cas les objectifs de la lutte du peuple marocain.
- Arrabiï/ "الربيع" proche du PSU. Son directeur, Ahmed Slimani,
ancien cadre de 23 mars/OADP, aujourd’hui cadre du PSU. Le PSU milite pour une
« monarchie parlementaire » et conditionne ses alliances par ce
plafond.
- « APOLEIUS »,
proche des milieux « modernistes », milieux qui, plus ou moins,
défendent les « acquis » de la « nouvelle ère », tout
en réclamant des réformettes pour mieux consolider le régime en
place.
Le Directeur de la publication, Monsieur
Najib Mouhtadi, a voulu se situer dés le premier numéro de sa revue en
s’attaquant, sans retenue aucune, à ANNAHJ ADDIMOCRATI. Quinze pages pour
« réfuter scientifiquement » les thèses de cette
formation politique anti-makhzenienne.
Il reste que, dans les trois revues, le lecteur
a de quoi satisfaire certaines de ses préoccupations intellectuelles.
La richesse (ou la misère) de chaque contribution dépend des objectifs de
son auteur.
Si la « nature a horreur du vide », la
lutte des classes ne peut se passer de la lutte théorique. Les trois revues ne
sont en aucun cas au-dessus de la mêlée. Elles sont les bienvenues.
Brèves remarques sur « MAROC-LÉGISLATIVES 2011 :
Le boycott d’ANNAHJ ADDIMOCRATI dans le jeu de rôle des Bolcheviks en 1906.
Analyse d’un discours 2’ 17’’ ». Accusation rédigée par Najib
Mouhtadi, le Directeur de la Publication, en 15 pages
de la revue APOLEIUS.
1- Remarques préliminaires.
A – APOLEIUS se veut scientifique. Son contenu
serait conçu par « un Comité Scientifique ». Le malheur c’est que le
contenu de la revue est un ensemble d’approches politiques et idéologiques. La
première cible visée n’est autre qu’ANNAHJ
ADDIMOCRATI, ennemi juré des milieux conservateurs.
B- Monsieur Najib Mouhtadi, le Directeur de la
Publication et donc véritable patron de la revue, s’attaque de front à ANNAHJ
ADDIMOCRATI et ce, au nom de la science !!! Lisons :
« Le présent article
adopte l’approche d’analyse de discours pour aborder un « mot
d’ordre » du parti Annahj Addimocrati, destiné à appeler au boycott des
élections. De ce fait, il n’a pas pour objectif d’annihiler les arguments mis
en avant par le Secrétaire national de ce parti. Il essaie tout au plus de
démontrer certains des présupposés idéologiques ayant motivé ce choix politique
conscient, et qui en font valablement un objet d’analyse scientifique ».(P.28) Quelle prétention !
Exemples « d’analyse
scientifique » :
- « Moins
d’un mois à peine aura suffi pour que le roi annonce dans un discours le 9 mars
2011, sa volonté de réformer profondément la constitution en prônant
franchement l’instauration d’une monarchie parlementaire… »
(P29).
- « Or nous constatons –après coup –que le gouvernement et
le parlement post 25 novembre, sont issus d'élections libres….on
ne peut pas reprocher aux partis politiques d’avoir briqué le mandat ; car
ils n’ont pas confisqué la volonté du peuple, ils l’ont gagnée. » (P. 29)
- « Beaucoup de choses ont foncièrement changé depuis la transition
monarchique en 1999 ;l’avènement du gouvernement alternance, la
panoplie des réformes institutionnelles, élargissement relatif
de la sphère des libertés, le respect des règles de l’Etat de droit,
dont la montée inexorable du Parti islamiste, Justice
et Développement (PJD), lequel a fini par s’emparer du pouvoir ce
qui est un indice de plus qui marque le changement dont il est question. » (P
36).
Affirmation scientifique ou appréciation
politique ? Je laisse le soin
au lecteur de juger.
2 – Les réfutations « scientifiques » de M. Najib
Mouhtadi.
Selon cet universitaire, ANNAHJ ADDIMOCRATI a,
lamentablement, fait fausse route. Il serait loin de la science telle
qu’elle est pratiquée par notre détracteur.
Les éléments du réquisitoire contre
Annahj se résument ainsi :
- La constitution n’est pas octroyée
comme l’affirme Annahj. « Cette
constitution a marqué un tournant dans sa rédaction, car son élaboration a été
confiée à une commission d’experts qui a travaillé d’arrache-pied durant des
mois, en organisant la plus large consultation jamais intervenue en cette
matière ; partis, association, syndicats, corporations,… ». « La
constitution fut finalement adoptée par référendum populaire en
juillet de la même année ». (P 30)
- Les projections/présuppositions
d’Annahj se sont avérées par la suite fausses.
- Selon le détracteur d’Annahj, M.N
Mouhtadi, les arguments avancés par Annahj pour boycotter aussi bien le
référendum que les élections de novembre 2011 sont (P32):
a) « une constitution « non démocratique et
octroyée » qui concentre les pouvoirs essentiels entre les mains du
roi et constitue la non expression du peuple qui est à l’origine
de tous les pouvoirs et à la base de la souveraineté ».
b) « Les prochaines institutions ; à savoir le
parlement et le gouvernement seront des « institutions de façade »… »
c) « Les prochaines élections du 25 novembre 2011
ressembleraient ainsi aux précédentes, car placées sous la tutelle du ministère
de l’Intérieur, celui-là même qui a une longue tradition en matière de
falsification électorale, d’autant que ces élections se basent sur des « listes
électorales viciées »,des lois électorales non
démocratiques et un découpage électoral favorable aux notables »
d) « Ces élections sont une étape dans le processus
destiné à « torpiller » le combat du peuple pour la liberté, la
démocratie et la vie décente que consacre le « mouvement du 20
février ». »
L’approche « scientifique de N. Mouhtadi se résume ainsi :
a) « Cette constitution – bien que supervisée
par un comité unissant à la fois le cabinet royal et les principaux chefs
des partis politiques et les syndicats – a été élaborée par
une commission d’experts appointée par le roi, certes, mais composée de
tendances politiques syncrétiques à dessein, et fut chargée de mener
publiquement de très larges consultations populaires. ». P 34
Il s’agit bien là d’une commission
« d’experts » nommés par le roi. Nous sommes donc loin d’une
assemblée constituante indépendante du centre de régime.
« La nouvelle constitution cependant ne concentre pas
« tous » les pouvoirs entre les mains du roi, et il y a bien un
effort de sur-lignage de la séparation des pouvoirs… ». P
34.
Les 19 articles (de 41 à 59) de la
constitution réfutent les allégations de notre universitaire. Le
pouvoir réel est entre les mains du roi et ce, dans tous les domaines.
b) Selon M.N. Mouhtadi, les
institutions issues des élections sont loin d’être de façade comme le prétend
Annahj Addimocrati ;
« Or, nous
constatons – après coup – que le gouvernement et le parlement post
25 novembre, sont issus d’élections libres. ». P 35
« Le
premier ministre est désormais chef de gouvernement, c’est à dire qui commande
l’ensemble des ministères, de l’administration et
des établissements publics (dont les plus stratégiques demeurent
néanmoins sous la responsabilité du roi). » P 35
Je demande aux lecteurs objectifs, hommes
et femmes, de revenir sur les déclarations du Chef de Gouvernement où il
reconnait lui-même n’être qu’un serviteur du roi, qu'il ne fait qu'exécuter les
décisions royales. M. Mouhtadi se définit plus benkerien que Benkirane. Les
faits sont têtus. la "majorité gouvernementale" se définit comme
"gouvernement du roi", et "l'opposition parlemententaire" se définit
comme "opposition du roi". Un universitaire averti doit normalement
relever cet imbroglio.
c) La supervision des
élections par le ministère de l’Intérieur « … est commun à de nombreuses démocraties » P 36. Ce
que ne dit pas notre universitaire, c’est que dans ces démocraties
existent des institutions indépendantes de contrôle, alors qu’au Maroc ces
institution font défaut et que même lorsqu’elles existent sur le papier, elles
« tranchent » sur commande. Elles sont au service des décideurs.
Il est vrai que la falsification ne se
fait plus à « l’ancienne ». Les contraintes internes et
externes ont amené l’Etat, instrument à tout faire pour protéger
les intérêts des classes dominantes avec l’institution monarchique
comme centre de gravité, à revoir ses méthodes. Je préfère utiliser les termes
« d’élections orientées ». De toute façon les deux pratiques mènent
au même résultat. La carte des résultats est préétablie dans ses
tendances globales. Les walis, les gouverneurs et autres appendices du
ministère de l’Intérieur sont là pour la « mise en pratique ».
d) « En définitive,
l’appel au boycott se justifierait non pas sur la base d’une lecture critique
de la réalité sociale présente, que par le fait que ces élections soient
destinées à « avorter » la marche du peuple sur la voie du changement
pour la liberté, la démocratie et la vie décente
que consacrerait précisément le mouvement du 20
février, selon la logique d’Annahj Addimocati ». P 37
Ce que ne dit pas N. Mouhtadi, c’est que
cet élément n’est qu’un parmi d’autres. Annahj avait
boycotté les élections d’avant la naissance du mouvement 20 février.
3 - Une approche inquisitoriale.
En plus du « Résumé », des « Mots
clés » et de l’inévitable « Introduction », le réquisitoire de
Najib Mouhtadi contre Annahj Addimocrati est composé de 4 parties :
- MISE
EN CONTEXTE
- DESCRIPTION
ARGUMENTATIVE
- LECTURE
DANS CERTAINS DES PRÉSUPPOSÉS IDÉOLOGIQUES DU TEXTE
- CONCLUSION
C’est du droit de notre universitaire de
décortiquer les positions politiques et
le référentiel idéologique d’Annahj Addimocrati. Ce dernier n’a
jamais prétendu détenir la vérité absolue. Il reste ouvert à toutes les
bonnes volontés. Il s’alimente, se renforce, se consolide… grâce aux
contributions théoriques de ses militant-es et des autres mouvements militants.
Il rectifie ses « tirs » grâces aux leçons que tirent ses militant-es
de leurs engagements quotidiens au sein des mouvements de résistance. Grâce aussi
aux remarques et aux critiques fondées des autres.
C’est là la force d’Annahj Addimocrati. Ce qui
dérange plus d’un.
L’approche de Najib Mouhtadi est à
l’opposée de celle d’Annahj. Rien d’anormal. Chacun est libre de se positionner
comme il veut. Le hic de la chose c’est que lorsqu’il prétend, sans
nuance aucune, que son approche est SCIENTIFIQUE. Par cette allégation, Najib
Mouhtadi se met lui-même, hors de la « déontologique universitaire »
en tant qu’enseignant chercheur. Ce qui met en doute le « contenu
scientifique » de ce qu’il dispense dans l’amphi.
Sur ce plan, N. Mouhtadi se
positionne en tant qu’adversaire politique d’Annahj Addimocarati et en tant que
conservateur et politicien qui défend l’ordre établi.
Ce qui est grave, c’est que cet
universitaire dépasse même le cadre d’adversaire politique. Il accompagne
son réquisitoire politique, d’une approche sécuritaire pour ne pas dire
policière. Il étale des arguments /chefs-d’accusation qui pourront
être utilisés par l’Etat pour réprimer Annahj Addimocrati et
pourquoi ne pas le dissoudre.
Je reproduis ces phrases insinuantes,
phrases loin d'être innocentes.
- « Autrement dit, Annahj prône non seulement le
boycott, mais la persistance de toutes les formes de tension,
dont les manifestations quotidiennes, seules susceptibles de provoquer
un chaos structurant … ». P 37
- « Il faut donc continuer à sortir massivement
dans la rue, jusqu’à la réalisation d’objectifs pourtant non clairement définis
et encore moins avoués… ». P 37
- « L’évocation des « latifundiaires » et de la
« bourgeoisie compradore » à titre d’exemple, renvoie à des termes
idéologiquement définis comme relevant des outils d’analyse marxiste
ou marxisante, des années cinquante et soixante. Ils émanent tout droit du
matérialisme historique dont se réclament pompeusement certains des militants
issus de la nébuleuse gauchiste de la fin de la décennie 60 pour qui le
marxisme se confondait avec l’approche socialo-baâthistes de Syrie et
panarabe-révolutionnaire de Nasser, qui déclencha en Egypte une guerre contre
la bourgeoise terrienne et le démantèlement en règle de l’héritage de la
monarchie ». P 39
- « Ces concepts de latifundiaires et de compradore –
aujourd’hui anachroniques – ont été convoqués ici et empruntés à bon escient,
pour exacerber les contradictions sociales jugées « explosives » dans
la conjoncture des manifestations quasi dominicales, et ainsi s’inscrire dans
le pragmatisme de « remonter » une classe sociale contre
une autre ; une argumentation à la limite de l’incitation à
la violence ». P 39
- « En réalité, l’évocation du
« boycott »dans le cadre de débat constitutionnel sous une monarchie,
rappelle curieusement le boycott des bolcheviks à la Douma russe en 1906, et le
slogan tactique de Lénine à l’époque, lorsqu’il avait considéré ces élections
« comme un appât constitutionnel » car n’ayant de finalité que de
retarder la révolution ! Voilà ce que Lénine avait écrit plus tard à ce
propos : « le slogan du boycott de la Douma Boulyguine a été un
slogan de la lutte pour le chemin de la lutte révolutionnaire directe et contre
le chemin de la monarchie constitutionnelle » chemin dont
la traduction en arabe aurait servi à l’appellation même du parti « Annahj »
Il serait alors établi que cette pensée s’inscrit volontairement ou
involontairement, dans une conception figée de l’histoire, tant que les
dirigeants de ce parti donnent l’impression qu’ils croient peu ou prou à l’existence
d’un parallèle à établir entre le Maroc de 2011 et la Russie de
1906 ! ». P 40
- « Ce n’est pas le boycott qui est en question
dans cette étude, mais l’argumentation qui en est fait pour défendre un choix
politique. Il est question d’interroger le sens et la portée, sachant
que l’enjeu est de savoir si l’appel au boycott pouvait recourir à d’autres
arguments pour convaincre ». P 40 et 41
Conclusion
Nous pouvons résumer la "sortie" de
« l’universitaire » Najib Mouhtadi contre Annahj Addimocrati comme
suit :
- Défendre
d'abord la « nouvelle ère » (l’après-hassan II)
- Dénigrer
les postions d’Annahj Addimocrati
- Dresser
un réquisitoire contre Annahj Addimocrati pour faire bouger les services du
ministère de l’Intérieur en « démontrant » qu’Annahj n’est qu’un
mélange explosif de baâth syrien, du nassirisme et du bolchevisme, tous trois
avaient renversé des monarchies. Annahj Addimocrati fomenterait un complot.
La campagne orchestrée contre Annahj
Addimocrati n’est autre qu’une preuve de plus comme quoi
cette organisation est sur la bonne voie.
Le
17 février 2016
Ali
Fkir
NB :
- Le gras est
de moi.
- La
revue APOLEIUS contient des contributions intéressantes, contributions
véhiculant des opinions et idées discutables. Idées et opinions qu’il
est erroné de considérer scientifiques comme le prétendent les
dirigeants de la revue.
- Monsieur
Najib Mouhtadi s’est basé (au départ de sa tirade) sur la vidéo relative à
l’appel d’Annahj Addimocrati au boycott du référendum de juillet 2011
pour en déduire par la suite des extrapolations fantasmagoriques.
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