Observations relatives à certaines réalités
J’étais à Beni Tadjit
pour vivre un deuil familial. J’en profite pour étaler certaines observations
quant à certaines "réalités locales".
I – Éléments socio-culturels…
1- Le décédé est lavé à la maison avant d’être
transporté directement au cimetière où la prière a lieu. On ne passe pas par la
mosquée. On m’a dit qu’un intrus a voulu un jour changer cette
habitude. Il a été remis à sa place. Il n’est pas question de passer par
la mosquée.
2- Le cimetière est appelé seulement le
cimetière de Beni Tadjit. Pas de marabout (voir l’histoire de ce cimetière
dans le « le petit berger qui devint communiste »).
3- Les femmes n’y sont pas admises le jour de
l’enterrement. Il y a quelques années un militaire avait
assassiné un jeune du village, ce qui avait provoqué
une émeute générale. Des généraux de l’armée s’étaient déplacés
pour s’excuser auprès de la population. Les femmes avaient
accompagné le
martyr jusqu’à sa dernière demeure à l’intérieur du cimetière.
C’était une première dans l’Histoire locale. Honneur aux militantes de
Casablanca, de Rabat, de Kénitra….qui ont mis aux poubelles de l’Histoire
cette ségrégation héritée des ténèbres du passé.
4- Généralement l’enterrement a lieu vers
10h30 du matin.
5- Au cimetière, les gens qui sont près de la
tombe se divisent en deux (comme à la moisson…) et chaque
groupe répète un refrain (socio-religieux). C’est comme pour
ahidous avec cette grande différence de contenu. Il n’y a pas de
« professionnels ». Tout est collectif, basé sur le volontariat.
6- La maison du défunt est ouverte 24H/24.
7- Jusqu’à 10h du matin, c’est essentiellement le
thé, les malouis, le miel et le beurre local…Après,
c’est le thé et autre gâteaux.
8- En revenant du cimetière, on vous accueille
avec des fruits secs (dattes…). Certains reviennent à la maison, et ce, dans l’attente
de ceux qui ont des occupations et de ceux qui font la prière du
"dohr". Le déjeuner se résume en couscous suivi du tajine à
base de poulet, d’oignons et d’olives. La maison est ouverte pour tout le
monde.
9- Toute la journée, des centaines d’hommes et de
femmes passent présenter les condoléances à la famille du défunt. Les
espaces sont séparés, ce qui n’empêche pas certains hommes, et
inversement, de passer dans les deux espaces pour présenter les condoléances
aux deux sexes. Pas de mounagabates, ni de femmes qui refusent de nous saluer
nous les frères du défunt. C’étaient des accolades fraternelles. La femme n’est
pas conservatrice de nature. C’est le mâle qui a voulu et qui veut qu’il en
soit ainsi.
10- Ceux qui ont appris quelques versets de coran
passent présenter les condoléances, récitent ce qu’ils savent (pas plus de5
mn). Les présents les écoutent avec recueillement. Plus de 90% des
présents ne comprennent rien quant au contenu. Mais ils gardent le silence.
Je ne suis pas psychologue pour comprendre ce à quoi ils pensent. Mais la majorité vivent
avec leur « âme » ces moments même s’ils ne comprennt rien de ce que
se dit dans la langue de kouraïch. Il ne faut pas oublier que la majorité
écrasantes des présents sont des amazigh et qu’ils sont nombreux ceux et celles
qui ne comprennent pas même la darija. Il ne faut pas oublier aussi, que Beni tadjit est peuplé essentiellement des
mineurs locaux et des ex-nomades que la sécheresse (naturelle) et la marginalisation
(makhzenienne) ont jeté dans les bas-fonds de la société.
Le fait religieux est vécu collectivement,
mais il est loin de ressembler à « l’officiel » ni à celui véhiculé
par des charlatans de tous poils. L’exception est représentée par un taleb parachuté dans le coin. Il ne
connait aucun mot de la langue amazighe. Il avait le
culot d'essayer d’expliquer un hadith d’Othman plein d’irrationalité et qui termine
son « intervention » par la demande à Dieu de conserver les symboles
du makhzen et autres blablas. Comme il a senti que le message ne passe pas, il
n’ose plus récidiver. Donc pas de hadiths ni interprétations. C’est ce qu’appellent
certains militant-es d’annahj addimocrati l’islam populaire qui n’a rien
avoir avec l’islam makhzenien et l’islam des politicards islamistes.
II- L’incontournable « politique »
En plus de l’idéologique, tout
est empreint (directement ou indirectement) du politique.
Les gens se méfient. On ne blague pas avec le
makhzen, le feu et les crues de l’oued. Le makhzen est
plus dangereux que la vipère à sonnettes. Il faut se méfier des
« oreilles » du makhzen.
Une fois l’assistance est sûre, les langues se
« délient ».
Les gens parlent positivement de la marche des
« étudiants de gauche » qui ont parcuru à pied plus de 300 km en
direction de Rabat et qui ont pu imposer à la veille d’el aïd certaines revendications.
Le thème préféré reste les « élections du
7 octobre » 2016. Certains disent qu’ils ne se déplaceront pas. D’autres
prétendent le contraire. Pas de polémique. Les avis sont respectés.
Ils sont nombreux à souhaiter le succès d’El
Omari du PAM et ce pour des raisons subjectives. La personnalité du patron du
PAM les séduit : amazigh, issu d’un milieu pauvres…Pas d’arguments
vraiment politiques. Le nom du patron du PJD est repoussant. Il faut
reconnaître que les noms de Moha, Assous, Ittou…ne sont pas les bienvenus dans
les milieux financiers de Casablanca et sont méprisés dans
les hautes sphères. Par revanche les noms Benkirane, Bennani…ne trouvent
pas d’écho dans la région. C’est dommage que le Maroc soit encore dans ce stade
à connotation « tribale ».
Au cours du dîner je me suis placé à côté
de quelqu’un qui est né, a grandi et qui a servi dans la région
jusqu’à sa retraite le makhzen en tant qu’agent du ministère de
l’intérieur. On se connait depuis le début des années 50. Le
« renard » a compris la manœuvre. On a commencé par évoquer
avec nostalgie notre jeunesse aussi bien en tant qu’enfants de nomades et qu’en
tant que villageois. Son père a travaillé comme mineur pendant
des dizaines d’années.
Je prends l’initiative des
« hostilités » :
- Alors les élections du 7
octobre ? Comment se présentent les choses ?
- Normales
- Les futurs 3 députés de la province de
Figuig ?
- Les urnes décideront mais les jeux
sont presque faits.
- Comment ça ? C’est la main du ministère
de l’intérieur ?
- Mais nom. Il n’y aura aucune
intervention du ministère de l’intérieur. Le premier élu sera "mr
tel" du PAM. C’est un professeur chercheur l’université de Fès. Il est né
et a grandi dans la région de Talsint, capitale des Aït Seghrouchen. Les tribus
Aït Seghrouchen constituent la majorité de la province. Ils sont solidaires.
Ils voteront "mr tel" et ce, quelque soit
son appartenance politique. Le deuxième élu ne sera que
l’istiqlalien «mr tel » de Bouarfa. Il a le soutien des tributs
arabes de la région. Impossible de le détrôner. Pour la troisième place,
ça se joue entre le MP et le RNI.
- Ne me raconte pas que la main du ministère de l’intérieur n’est
pas là.
- Je te jure que je dis la vérité. Moi je ne
connais que ce qui se passe dans la province. Je ne peux rien avancer quant à
la réalité nationale.
- Et les autres partis politiques ?
- Ils jouent le rôle de figurants. Pas plus.
Ceux qui osent parler
à haute voix confirment les dires de cet ex commis de l’intérieur.
C’est dommage que le
tribalisme, le religieux et l’argent sale restent des armes préférées dans le
combat politique. La misère de la politique marocaine reste le principal atout
du makhzen.
Sans un anti makhzen
conséquent et radical, sans la laïcité, sans un projet basé sur les aspirations
profondes du travailleur et autre déshérité, cette misère politique ne fera que
renforcer le système en place.
OSONS-NOUS NOUS LIBÉRER DES CHIMÈRES ÉLECTORALES QUI
NE FONT QUE REPRODUIRE LE DOMINANT !
Ali Fkir, le 16 septembre 2016
********
Extrait du livre "Le petit berger qui devint communiste":
Dans chaque cimetière, il y a le tombeau d’un
chérif autour duquel est généralement bâtie une pièce ou deux pièces qui
« accueillent les pèlerins » bien chargés d’offrandes pour la
caste locale des chorfas. Ces
« pèlerinages » étaient pour
les bambins des occasions pour s’éclater
(s’amuser) à la limite de la profanation. On piétinait (au sens large du
verbe) beaucoup
« d’interdits ». Les moins jeunes profitaient aussi de ces occasions
« pieuses » pour se permettre quelques « égarements »
sentimentaux sinon sexuels.
Nous devons signaler que le cimetière du
village minier Beni Tadjit (inauguré en 19 59/60) est peut-être le seul au
Maroc où il n’y a pas de tombeau de « saint » à vénérer. Peut-être c’est le seul cimetière
« socialiste » à exister au Maroc. L’ex-petit berger se rappelle
aujourd’hui, qu’il y avait une réunion chez son père, pour discuter du
cimetière. Etaient présents des syndicalistes et des commerçants. Tous
militants nationalistes, istiqlatiens, umtéistes et futurs unfpéistes. Il
fallait un cimetière pour le village. Il
ne fallait plus traverser la rivière pour enterrer les morts dans le cimetière
du Ksar. Les présents entamèrent la question délicate du tombeau du chérif,
« gardien spirituel » de tout cimetière musulman. La question est
vite tranchée. Il n’est pas question d’attendre la mort d’un chérif. De
toute façon , ils connaissaient tous les
chorfas du coin. Ils n’ont rien d’exceptionnel. C’étaient des êtres humains comme les autres communs
mortels. Et cela pour ne pas dire plus.
Le premier décédé du village, fut l’un des
présents à cette réunion, le militant
nationaliste ittihadi, le feu Ali ou Houssa, petit commerçant du village.
Illettré mais c’était le plus avancé politiquement. Politiquement il ne
s’entendait pas beaucoup avec le père du petit berger ( c’était le temps des
luttes intestinales du mouvement national)., mais ils étaient inséparables. Le
père a été très touché, profondément touché par la disparition de son ami Ali
Ou Houssa. Tout le village minier fut affligé par cette disparition prématurée.
Le village, les mineurs avaient encore besoin de cet exceptionnel militant
progressiste.
Ali Ou Houssa
« inaugura » le nouveau cimetière. Un cimetière sans stratification
sociale, sans chef « spirituel ». Un cimetière qui par le temps,
disparaîtra. La décomposition des os enrichira le sol et donnera la vie à de
splendides fleurs. La mort n’est que la fin d’un processus naturel, qu’un
moment de transformation « de la quantité en qualité », puisque la
vie continuera sous une autre forme.
Cinquante ans après, le jeune berger, devenu
communiste, en passant près du cimetière, ou en assistant à un enterrement,
n’oublie jamais de penser respectueusement
à ce grand homme."
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