18 novembre, un jour de mauvais souvenirs.
(Extrait du livre "Le petit berger qui devint communiste")
(Extrait du livre "Le petit berger qui devint communiste")
".... Des milliers de militants progressistes marocains (marxistes léninistes et ittihadis) avaient payé chèrement leur opposition au régime. Le régime avait profité de « l’entrée en transe chauvine» de tout un pays pour régler ses comptes avec les meilleurs fils du peuple.
Le 18 novembre 1975, en « pleine marche verte », Amine Abdelhamid fut enlevé de la prison de Kénitra, puis ce fut le tour de Derkaoui, d’Assidon… En dehors de toute formalité juridique, ils furent emmenés dans le centre de torture, à l’extérieur de la prison. Ils disparurent.
Le groupe entra immédiatement en grève de la faim illimitée, exigeant le retour des disparus. La réaction de l’administration ne se fit pas attendre. Prise d’assaut du quartier G1 par une meute de matons, les militants furent isolés dans des cellules nauséabondes dans les différents quartiers de la prison. L’accès à la prison fut interdit aux familles, aux avocats… Personne ne savait ce qui se passait chez les détenus politiques (groupe de 1972). Les appareils de l’Etat, la presse partisane, les politicards et autres relais makhzeniens, aveuglés par le chauvinisme, répandaient intentionnellement la rumeur comme quoi, les prisonniers « communistes » étaient en grève de la faim (et du parloir !!!) protestant ainsi contre la « marche verte ». Ils furent traités de traitres à la nation. Les services du makhzen disaient aux familles que les leurs refusaient de les voir, et qu’ils étaient contre tout ce qui était marocain, tout ce qui était national.
La vérité était ailleurs. Les services de l’Etat makhzenien attendaient depuis des années l’occasion de mater les militants. La grève de la faim était loin, mais vraiment loin d’être une grève politique. Les grévistes exigeaient le retour d’AMINE, D’ASSIDON, DE DERKAOUI…Parmi les grévistes, il y avait des militants qui défendaient la marocanité du Sahara.
L’ex petit berger fut isolé dans un quartier des détenus de «droit commun». La cellule était minuscule, nauséabonde…ses seules compagnes n’étaient autres que les taupes qui sortaient du béant trou. Il ne pouvait communiquer ni avec ses camarades, ni avec les détenus du coin, ni avec le monde extérieur de la prison. Le judas était fermé de l’extérieur. Pas de promenade. Il grelottait de froid. De temps en temps, des gardiens accompagnèrent un individu en blouse blanche qui lui tâtait le pouls, lui prenait la température…pour déclarer (toujours le même refrain) : sa situation s’aggrave. Une demi-heure après, les mêmes gardiens arrivaient avec une grande marmite qui dégageait une odeur « alléchante » de bouf. On lui proposait de sauver sa vie en bouffant. L’administration n’avait comme objectif que de faire échouer le mouvement de résistance, de « caser » la grève de la faim. La grève suscita un mouvement de solidarité des prisonniers de «droit commun ». Ces victimes de l’ordre social établi, attendaient le soir pour exprimer par des cris leur solidarité. Au milieu de la nuit, l’ex berger entendait : «tiens bon Ali», «tiens bon Si Ali»…c’était certainement la même chose dans les autres quartiers. Comment ont-ils eu le prénom de l’ex petit berger ? Il ne le saura jamais. La majorité des détenus de ce quartier étaient condamné à la prison à vie. Dans le jargon de la prison, c’était des « perpet » (ça vient de perpétuité).
Après 19 jours de la grève de la faim, et au milieu d’une nuit, les grévistes furent regroupés dans une grande salle. Ils eurent l’agréable surprise de trouver devant eux les avocats militants : Abderrahmane Ben Amre, Abderrahim Berrada et Abderrahim Jamaï, accompagnés d’individus se présentant comme responsables au sein du ministère de la justice. Les avocats ignoraient complètement le problème. Il fallait leur expliquer ce qui se passait : la disparition de certains militants etc.. Ils nous apprirent l’enlèvement d’un frère et d’un cousin d’Amine, l’arrestation de certains gardiens de la prison et la convocation policière de certains membres des familles…Après des de difficiles «négociations», un accord fut trouvé : Amine, Derkaoui, Assidon…resteraient en prison, mais isolés pour quelques jours et cela dans l’attente de la fin de « l’enquête » en cours sur un « réseau politique » où seraient impliqués Amine, Assidon, Derkaoui, Anis Balafrej, des membres de la famille d’Amine, des gardiens…Les grévistes se réunirent entre eux et sans opposition aucune acceptèrent le compromis. Il fallait aller voir Amine et les autres, s’enquêter de leur santé et surtout leur apprendre « le compromis » léonin qui était loin d’être une victoire. Personne n’avait osé se présenter aux victimes de l’arbitraire. L’ex petit berger prit sa responsabilité, et passa voir militant par militant. Il ne pouvait pas les voir ensemble. C’était interdit pour des raisons « d’enquête ». Amine était le seul à critiquer le « compromis » mais accepta de se soumettre à la volonté du groupe.
Les grévistes arrêtèrent la grève de la faim et retrouvèrent leur quartier. Le lendemain, ils reçurent les visites des familles et leur expliquèrent les dessous de cette répression. Des jours passèrent, puis des semaines sans que les militants isolés regagnassent leurs camarades du quartier G1. Ces derniers commencèrent à préparer la reprise de la grève de la faim en vue d’imposer le retour parmi eux de leurs camarades.
Une matinée de début de l’année 1976, l’ex petit berger, Jawad Skalli et un autre militant dont j’ai oublié le nom, furent convoqués par la direction de la prison. Arrivés au bureau du directeur, ils furent embarqués par des gorilles en civil. Ils se retrouvèrent au commissariat de Kénitra. L’ex petit berger fut conduit dans le bureau du principal. Il ne connaissait même pas le nom de ce patron de la police de kénitra. Il fut reçu courtoisement, sans la présence des tortionnaires. Le patron des flics était vraiment gêné. Il posa des questions simples : est-ce que tu as gardé des contacts avec ceux de l’extérieur ? Est-ce que tu a des contacts politiques ou « commerciaux » avec tel gardien, est-ce que ton frère Lahcen a passé quelque chose au frère d’Amine… ? L’ex berger répondit négativement tout en se préparant aux séances inévitables de la torture. On lui présenta le PV. Le PV était fidèle aux déclarations. Il signa et regagna un bureau. Ses deux compagnons furent reçus par la même personne. Et furent regroupés normalement dans un bureau. A midi on leur amena un grand plat (ksaâ) de couscous, très bien garni en légumes et en viande. Le soir, ils furent ramenés à la prison. L’ex petit berger n’avait rien compris. Il aura compris par la suite. Le policier était quelqu’un de Gourrama, à 65 km de Beni Tadjit (village natal de l’ex petit berger). Un de ses frères était avec l’ex berger dans le même lycée et étaient à l’université dans la même époque. Ce frère était militant (non actif) de l’UNEM à la fac des sciences…C’est une famille du village de l’officier Moha Boutou, militant du PCM au Lycée Tarik d’Azrou. Il mourut le premier mars 1978 (cellule 55) dans des conditions affreuses au bagne de Tazmamart.
Ce patron de la police aura été arrêté par la suite dans conditions «sombres».
Juste après, Amine Derkaoui, Assidon furent ramenés au quartier G1. Pour des raisons politiques, Anis fut admis à l’hôpital d’Avicenne et séparé définitivement du groupe. Des membres de la famille d’Amine et des jeunes gardiens furent détenus à la prison de Rabat pour constitution de réseau d’aide aux prisonniers politiques du quartier G1 : journaux, radios, livres interdits…"
Le 18 novembre 1975, en « pleine marche verte », Amine Abdelhamid fut enlevé de la prison de Kénitra, puis ce fut le tour de Derkaoui, d’Assidon… En dehors de toute formalité juridique, ils furent emmenés dans le centre de torture, à l’extérieur de la prison. Ils disparurent.
Le groupe entra immédiatement en grève de la faim illimitée, exigeant le retour des disparus. La réaction de l’administration ne se fit pas attendre. Prise d’assaut du quartier G1 par une meute de matons, les militants furent isolés dans des cellules nauséabondes dans les différents quartiers de la prison. L’accès à la prison fut interdit aux familles, aux avocats… Personne ne savait ce qui se passait chez les détenus politiques (groupe de 1972). Les appareils de l’Etat, la presse partisane, les politicards et autres relais makhzeniens, aveuglés par le chauvinisme, répandaient intentionnellement la rumeur comme quoi, les prisonniers « communistes » étaient en grève de la faim (et du parloir !!!) protestant ainsi contre la « marche verte ». Ils furent traités de traitres à la nation. Les services du makhzen disaient aux familles que les leurs refusaient de les voir, et qu’ils étaient contre tout ce qui était marocain, tout ce qui était national.
La vérité était ailleurs. Les services de l’Etat makhzenien attendaient depuis des années l’occasion de mater les militants. La grève de la faim était loin, mais vraiment loin d’être une grève politique. Les grévistes exigeaient le retour d’AMINE, D’ASSIDON, DE DERKAOUI…Parmi les grévistes, il y avait des militants qui défendaient la marocanité du Sahara.
L’ex petit berger fut isolé dans un quartier des détenus de «droit commun». La cellule était minuscule, nauséabonde…ses seules compagnes n’étaient autres que les taupes qui sortaient du béant trou. Il ne pouvait communiquer ni avec ses camarades, ni avec les détenus du coin, ni avec le monde extérieur de la prison. Le judas était fermé de l’extérieur. Pas de promenade. Il grelottait de froid. De temps en temps, des gardiens accompagnèrent un individu en blouse blanche qui lui tâtait le pouls, lui prenait la température…pour déclarer (toujours le même refrain) : sa situation s’aggrave. Une demi-heure après, les mêmes gardiens arrivaient avec une grande marmite qui dégageait une odeur « alléchante » de bouf. On lui proposait de sauver sa vie en bouffant. L’administration n’avait comme objectif que de faire échouer le mouvement de résistance, de « caser » la grève de la faim. La grève suscita un mouvement de solidarité des prisonniers de «droit commun ». Ces victimes de l’ordre social établi, attendaient le soir pour exprimer par des cris leur solidarité. Au milieu de la nuit, l’ex berger entendait : «tiens bon Ali», «tiens bon Si Ali»…c’était certainement la même chose dans les autres quartiers. Comment ont-ils eu le prénom de l’ex petit berger ? Il ne le saura jamais. La majorité des détenus de ce quartier étaient condamné à la prison à vie. Dans le jargon de la prison, c’était des « perpet » (ça vient de perpétuité).
Après 19 jours de la grève de la faim, et au milieu d’une nuit, les grévistes furent regroupés dans une grande salle. Ils eurent l’agréable surprise de trouver devant eux les avocats militants : Abderrahmane Ben Amre, Abderrahim Berrada et Abderrahim Jamaï, accompagnés d’individus se présentant comme responsables au sein du ministère de la justice. Les avocats ignoraient complètement le problème. Il fallait leur expliquer ce qui se passait : la disparition de certains militants etc.. Ils nous apprirent l’enlèvement d’un frère et d’un cousin d’Amine, l’arrestation de certains gardiens de la prison et la convocation policière de certains membres des familles…Après des de difficiles «négociations», un accord fut trouvé : Amine, Derkaoui, Assidon…resteraient en prison, mais isolés pour quelques jours et cela dans l’attente de la fin de « l’enquête » en cours sur un « réseau politique » où seraient impliqués Amine, Assidon, Derkaoui, Anis Balafrej, des membres de la famille d’Amine, des gardiens…Les grévistes se réunirent entre eux et sans opposition aucune acceptèrent le compromis. Il fallait aller voir Amine et les autres, s’enquêter de leur santé et surtout leur apprendre « le compromis » léonin qui était loin d’être une victoire. Personne n’avait osé se présenter aux victimes de l’arbitraire. L’ex petit berger prit sa responsabilité, et passa voir militant par militant. Il ne pouvait pas les voir ensemble. C’était interdit pour des raisons « d’enquête ». Amine était le seul à critiquer le « compromis » mais accepta de se soumettre à la volonté du groupe.
Les grévistes arrêtèrent la grève de la faim et retrouvèrent leur quartier. Le lendemain, ils reçurent les visites des familles et leur expliquèrent les dessous de cette répression. Des jours passèrent, puis des semaines sans que les militants isolés regagnassent leurs camarades du quartier G1. Ces derniers commencèrent à préparer la reprise de la grève de la faim en vue d’imposer le retour parmi eux de leurs camarades.
Une matinée de début de l’année 1976, l’ex petit berger, Jawad Skalli et un autre militant dont j’ai oublié le nom, furent convoqués par la direction de la prison. Arrivés au bureau du directeur, ils furent embarqués par des gorilles en civil. Ils se retrouvèrent au commissariat de Kénitra. L’ex petit berger fut conduit dans le bureau du principal. Il ne connaissait même pas le nom de ce patron de la police de kénitra. Il fut reçu courtoisement, sans la présence des tortionnaires. Le patron des flics était vraiment gêné. Il posa des questions simples : est-ce que tu as gardé des contacts avec ceux de l’extérieur ? Est-ce que tu a des contacts politiques ou « commerciaux » avec tel gardien, est-ce que ton frère Lahcen a passé quelque chose au frère d’Amine… ? L’ex berger répondit négativement tout en se préparant aux séances inévitables de la torture. On lui présenta le PV. Le PV était fidèle aux déclarations. Il signa et regagna un bureau. Ses deux compagnons furent reçus par la même personne. Et furent regroupés normalement dans un bureau. A midi on leur amena un grand plat (ksaâ) de couscous, très bien garni en légumes et en viande. Le soir, ils furent ramenés à la prison. L’ex petit berger n’avait rien compris. Il aura compris par la suite. Le policier était quelqu’un de Gourrama, à 65 km de Beni Tadjit (village natal de l’ex petit berger). Un de ses frères était avec l’ex berger dans le même lycée et étaient à l’université dans la même époque. Ce frère était militant (non actif) de l’UNEM à la fac des sciences…C’est une famille du village de l’officier Moha Boutou, militant du PCM au Lycée Tarik d’Azrou. Il mourut le premier mars 1978 (cellule 55) dans des conditions affreuses au bagne de Tazmamart.
Ce patron de la police aura été arrêté par la suite dans conditions «sombres».
Juste après, Amine Derkaoui, Assidon furent ramenés au quartier G1. Pour des raisons politiques, Anis fut admis à l’hôpital d’Avicenne et séparé définitivement du groupe. Des membres de la famille d’Amine et des jeunes gardiens furent détenus à la prison de Rabat pour constitution de réseau d’aide aux prisonniers politiques du quartier G1 : journaux, radios, livres interdits…"
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