Extrait du livre "Le petit berger qui devint communiste"
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Discours du tyran Hassan II: le dimanche 22 janvier 1984
-http://www.youtube.com/watch?v=JryC7jryPoA
-http://www.youtube.com/watch?v=Fz9OjCimE6U
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"Janvier
1984, nouvelle arrestation
Octobre,
novembre et décembre 1983 furent des mois d’intenses activités. En plus de la
préparation des cours, il fallait préparer le premier numéro du journal,
participer aux activités de l’AMDH, intervenir dans les facultés. La résistance
populaire reprenait de l’ampleur, le train de la lutte des classes n’attendait
pas les traînards.
Face
à la crise économique, au déficit budgétaire, à la crise de l’enseignement,
l’Etat décida de supprimer certaines subventions en les remplaçant par des «
bons » à distribuer aux pauvres. Ce fut la goutte d’eau qui avait fait déborder
le vase. Les pauvres et les étudiants descendirent dans la rue surtout à
Marrakech, Kasr kebir, Nador, Tétouan… et ce, à partir du lundi 16 janvier
1984. La direction nationale d’ILAL AMAM appela au soulèvement général contre
la tyrannie de Hassan II.
Le
régime n’hésita pas à utiliser les grands moyens : chars, hélicoptères,…
Les innocents tombèrent par centaines sous les balles des forces de répression.
La ville de Casablanca où se tenait le sommet de «l’Organisation de la
conférence islamique» (aujourd’hui l’Organisation de la coopération
islamique) fut bouclée et quadrillée par les diverses forces de répression.
A
partir du jeudi 19 janvier 1984, le soulèvement prenait de l’ampleur, gagnait
d’autres régions. Et à partir du vendredi 20 janvier, des tracts d’origines
diverses appelaient le peuple marocain à entamer une grève générale à partir du
lundi 23 janvier 1984. La baraque du makhzen prenait du feu.
Le
dimanche soir du 22 janvier, Hassan II s’adressa à « la nation », il s’en prit
à ILAL AMAM, aux islamistes, aux étudiants, aux élèves, traitant les bourgeois
de froussards, insultant dans un langage vulgaire les masses populaires, menaça
le rifain tout en leur rappelant les massacres de 1958/59 qu’il avait commandés
lui-même.
Les
masses populaires furent traitées d’awbach (déchets de la société). Malgré la
terreur, malgré son langage de guerre, Hassan II annonça la suppression des
mesures préconisées quant à la caisse de compensation. On voyait qu’il avait
peur. Il devrait lâcher du lest.
A
part ILAL AMAM, aucune autre force politique, n’avait osé prendre position pour
le soulèvement populaire.
Après
avoir écouté le discours télévisé du tyran, l’ex petit berger dit à sa
compagne : je dois me préparer pour la prison. On brûla à la hâte ce qu’il
fallait brûler. La nuit se passa bien. Le lundi 23 janvier 1984, le frais
professeur, avec sa blouse blanche, assistait normalement à la prestation d’une
stagiaire quand un chaouch, tout blême, arriva dans la salle et lui dit que le
directeur voudrait le voir. Le nouveau prof savait ce qui l’attendait. Il
ramassa ses affaires, mit la blouse sur le cartable déposa le tout sur le
bureau et quitta la salle. Dans le couloir l’attendaient des policiers en
civil. Il fut ainsi embarqué et emmené au commissariat central de Rabat sans
formalité juridique aucune. L’arbitraire le plus abject. La répression au Maroc
n’a jamais besoin de formalités juridiques : le procureur et le juge ne
sont là que pour dire « amen » aux décisions du policier. Ils restent
de simples figurants dans des scénarios/films d’horreur.
A
l’arrivée, on le fit normalement attendre dans un bureau. Après une demi-heure,
il fut introduit dans un spacieux et luxueux bureau où l’attendaient autour
d’une grande table 7 ou 8 personnes. Il fut invité à s’assoir. Pas de menotte,
pas de bandeau noir.
C’était
la séance de «discussion ». Les divers services voulaient
« comprendre ». Le policier de mai 1983 était là. L’animosité se
lisait sur son visage.
Je
résume ici le contenu de la discussion/interrogatoire.
–
Police : que pensez-vous de l’invasion d’Afghanistan par l’Union
soviétique ? (Cela parait bizarre mais c’était la première question).
–
L’interpellé : Je suis contre l’invasion soviétique mais pour moi le
véritable problème c’est l’intervention de l’impérialisme, du pakistan et des
pays arabes pour soutenir et armer la contre-révolution dirigée par les grands
propriétaires terriens afghans qui sont contre la révolution agraire.
–
La police : quelle est votre position concernant le Sahara marocain ?
–
L’interpellé : Pour moi, le problème est dépassé puisque Hassan II a
déclaré à Naïrobi que le Maroc accepte le référendum d’autodétermination.
–
Police : pourquoi vous n’avez pas rejoint un des syndicats
existants ?
–
L’interpellé : avant mon arrestation en juin 1972, j’étais à l’UMT. Il
était pratiquement le seul syndicat existant. Dix ans après, à ma sortie de
prison, je me retrouve avec plusieurs syndicats. Pour le moment je garde mon
indépendance.
–
Police : vous êtes un communiste convaincu. Pourquoi ne pas rejoindre le
parti d’Ali Yata qui est le parti communiste marocain.
–
L’interpelé : j’avais quitté en 1970 ce parti par ce qu’il n’est pas
communiste.
–
La police : vous parlez souvent de Tazmamart. Vous êtes certainement la
personne qui a communiqué à la presse étrangère des lettres sorties de ce
bagne.
–
L’interpelé : certainement pas, je n’aurais pas parlé publiquement de ce
bagne si je suis l’auteur des « fuites ». Ils n’insistaient pas.
Tout
se passa « normalement » c'est-à-dire, sans injures, sans menaces, à
part un fameux policier qui dit : vous voyez qu’il parle du roi sans dire
sa majesté le roi.
Aucune
question sur la nature du régime, ni sur les événements qui secouaient le pays
en ce janvier 1984.
Ils
étaient « courtois ». Le but était de comprendre et non d’extorquer
des « informations » par la torture et par d’autres moyens peu
« catholiques» ou simplement de vous tabasser pour le plaisir de vous
tabasser.
De
cette « calme discussion », l’ex petit berger conclut qu’en une
dizaine d’années, la tyrannie a pu former quand-même des policiers «
intellectuels », des jeunes flics recrutés certainement dans les milieux «
militants » estudiantins et bien entrainés par les polices américaines et
françaises.
On
fit sortir du bureau l’interpellé. Dans le couloir, le ton changea. D’autres
individus, dont des gorilles prêts à vous sauter sur la gorge, firent descendre
l’interpelé à la cave. On lui enleva la montre, les quelques sous qu’il avait
dans sa poche, des papiers,… les nuages sombres, accompagnés d’éclairs et de
tonnerre se profilaient à l’horizon. Il fut remis à d’autres individus. La
division du travail oblige !
Il
fut jeté dans une chambrée puante, suffocante où des dizaines de personnes
étaient entassées, des drogués, des ivrognes, des pickpockets mais aussi
plusieurs « politiques ».
Il
trouva devant lui le docteur Jamal Belakhdar, l’un des fondateurs d’ILAL AMAM,
les professeurs universitaires Abdeljalil Nadem, Saïd Benjelloune, ex détenus
qui avaient «abandonné la politique» depuis des années.
Après
les salutations, il leur dit : « c’est une occasion de nous revoir ».
Hassan
II avait prononcé son discours télévisé vers 20h du dimanche 22 janvier 1984,
quelques minutes après débuta l’opération généralisée des rafles à l’aveuglette
et des arrestations politiquement ciblées.
La
répression politico-sociale se mélangea au racket le plus éhonté. Hassan II
avait parlé des élèves, des mineurs. Il annonça qu’il n’était plus question de
faire la différence entre les grands et les petits. Ce fut une aubaine pour les
ripoux. La police embarquait dans des estafettes, dans des fourgons, des
centaines, des milliers de collégiens, de lycéens, des innocents mineurs, pour
les relâcher contre des sommes d’argent. La rançon variait autour de 1.000 dh.
Le marchandage se faisait dans la rue, au commissariat,... Les ripoux
extorquaient l’argent sans scrupule aucun. Les enfants dont les parents
ne pouvaient pas payer se retrouvaient dans des cellules insalubres.
Le
commissariat du quartier de l’Océan avait battu le record de l’arbitraire de la
répression et de l’extorsion de fonds. Le patron, un certain Alaoui, aurait été
blessé à la tête par un jet de pierres, ce qui l’avait rendu fou furieux.
Les
commissariats de Rabat et de Salé étaient pleins à craquer. La police
« politique » avait remis sur table les listes « noires ». Il fallait
embarquer tout ce monde là et ce sans motif aucun.
Au
commissariat de Rabat, les victimes furent réparties dans les différentes
cellules. La gigantesque chambrée, « la salle de réception », ne
pouvait contenir ces centaines de détenus. A l’extérieur, les voleurs, les
agresseurs, les violeurs, les ripoux étaient aux anges. Personne ne les
inquiétait. Hassan II n’avait parlé que des « agitateurs et autres
fauteurs de troubles » politiques. La chasse à l’opposant était l’unique
tâche des services de l’Etat.
L’ex
petit berger se retrouva entassé avec une vingtaine de détenus dans une cellule
faite normalement pour 5 personnes. Les victimes s’arrangeaient pour que la
moitié s’accroupît et l’autre restât debout, et cela à tour de rôle. Le trou/wc
ne se voyait pas. Affamés, assoiffés, lassés, les détenus avaient
« oublié » les besoins naturels. Les détenus avaient vécu 13 jours
dans cet enfer.
L’ex
berger, menotté, yeux bandés, avait droit à plusieurs séances d’interrogatoire.
Les questions tournaient autour d’ILAL AMAM, structures, positions, autour des
soulèvements populaires. Il adopta la même tactique qu’en 1972. Il se chargea,
s’enfonça, pour montrer qu’il n’avait pas peur (je suis républicain,
communiste,…), mais aucun, vraiment aucun mot qui pourrait nuire à
l’organisation ou à un camarade.
Il
fallait passer à la torture physique. Abdelilah Benabdeslam et l’ex petit
berger furent emmenés dans le « laboratoire de torture », le lieu de
l’extorsion des « aveux ». On enleva le bandeau à l’ex bédouin, pour mieux voir
son ami souffrir car c’est par Abdelilah que les tortionnaires allaient
commencer. Une fois l’opération entamée, ce dernier tomba raide. Il fut victime
d’une crise cardiaque. Les flics furent surpris.
On
le fit descendre du « perchoir ». Un flic toubib jugea la situation
critique. Dans ce grand brouhaha, des flics redescendirent l’ex petit berger,
qui échappa ainsi à la séance de torture. Abdelilah fut relâché. La police
avait voulu éviter le scandale d’un assassinat.
Mohamed
Sebbar avait connu un véritable enfer. Il a été torturé plusieurs fois à Rabat,
puis à Tétouen. C’est le détenu qui avait été le plus torturé.
Malgré
ces conditions inhumaines, les détenus rigolaient. Ils trouvaient toujours des
« occupations » pour s’oublier dans ce monde de misère humaine. Il
faut reconnaitre que Sebbar a une grande capacité de créativité humoristique.
Pour
les personnes qui n’ont pas vécu directement ces événements sanglants ou qui se
sont limité aux versions officielles, je reproduis ici une partie d’un article
émouvant publié par la revue hebdomadaire TELQUEL, il y a de cela quelques
années. Je rappelle aussi que l’Etat marocain a fait « découvrir » à
son appendice, l’IER (instance équité et reconciliation), un seul charnier (à
Nador) contenant une vingtaine de dépouilles, alors qu’il s’agit de centaines
de tués. L’Etat a fait de même avec les massacres de juin 1981 (Casablanca), et
de décembre 1990 (Fès)."
.............
"Re-bonjour
prison !
Après
13 jours de calvaire cauchemardesque, 13 jours non mentionnés dans les PV de
police et donc non comptabilisés dans les peines à passer en prison, les
dizaines « élus » de la police furent présentés au procureur du roi.
L’ex petit berger fut introduit dans le bureau du procureur (l’enfonceur selon
le jargon populaire). Il est accusé, entre autres, d’avoir dirigé une cellule
d’ILAL AMAM, composée de Jamal Belakhdar, de Omar Zaïdi, d’un ingénieur, d’une
femme médecin. La dite cellule aurait organisé des manifestations, attaqué un
train, distribué des tracts. L’ex berger ne crut pas ses oreilles. C’était du
pur Kafka. Omar Zaïdi n’était jamais militant d’ILAL AMAM, Belakhdar avait
divorcé avec ILAL AMAM depuis plus de 12 ans, l’ingénieur, la femme médecin
étaient simplement des inconnus pour l’ex petit berger. Les faits mentionnés
dans le PV n’étaient pas véridiques. Il protesta et déclara qu’il n’a jamais
signé de PV de la police.
Les
détenus arrivèrent la nuit tombée à la prison Laâlou de Rabat. L’ex berger se
retrouva avec 125 (!!!!) autres victimes dans une chambrée. Bien que la cellule
soit spacieuse, normalement elle est faite pour 30 ou au maximum pour 40
détenus, elle a reçu en son sein ce soir du 5 février (si je ne me trompe pas
d’une journée) 126 détenus.
Il
est impossible de dormir dans ces lamentables conditions : la puanteur,
les poux, les cafards, les punaises, le manque d’espace où s’allonger. Sebbar,
Zaïdi, Abdelkhalek Benzekri, Sbaï,… ont su « meubler » la nuit en
racontant des blagues, chantant Marcel Khalifa, cheikh Imam, Saïd Al Maghribi…
L’ex bédouin, terrassé par la fatigue, ne sentait ni la faim, ni la soif, ni la
déprime…
Le
lendemain, les nouveaux arrivés refusèrent de regagner « leur » chambrée,
premier accrochage avec l’administration de la prison. Le quartier moderne,
composé essentiellement de cellules individuelles ou de cellules faites pour 2
ou 3 personnes, était accordé en location aux gros trafiquants, aux
fonctionnaires impliqués dans des détournements de fonds, aux riches. Dans ce
quartier se trouvaient aussi le grand militant Abderrahmane Ben Amre et ses
camarades jetés arbitrairement en prison suite à leurs démêlés politiques avec
le bureau politique de l’USFP, ce dernier ayant fait appel à la police pour les
coffrer. Dans ce quartier se trouvait aussi Cheikh Abdeslam Yassine et ce,
suite à ses démêlés politiques avec le régime.
L’administration
vida la plus grande partie du quartier « 5 étoiles » en installant
les anciens locataires à l’infirmerie. L’ex berger et une dizaine d’autres
victimes décidèrent d’occuper la plus grande cellule du quartier : la
fameuse cellule 13. Pourquoi ? Pour discuter, blaguer, chanter. On y
trouvait Abdelkhalek Benzekri, Mohmmed Sebbar, Omar Zaïdi, Ali Fkir,...
L’ex
berger a eu l’occasion de faire la connaissance d’inoubliables militants,
surtout des jeunes. Ils sont des dizaines. Ils étaient tous formidables.
Les
militantes ont été placées dans le quartier des femmes. Elles étaient extraordinaires,
aussi bien au commissariat qu’en prison. Et ce malgré les conditions
lamentables où elles se trouvaient. La majorité était des enseignantes
stagiaires à l’ENS. En 2012, 28 ans après, je ne peux que féliciter des
militantes qui sont là toujours, le drapeau de la résistance à la main, drapeau
bien brandi, telle l’infatigable Zaïna Oubihi, cadre de l’AMDH,
d’ATTAC-Maroc, du mouvement syndical démocratique et progressiste. Cette
militante dévouée aux causes justes, honnête et conséquente dans ses engagements,
démocratique dans ses relations avec les autres, mérite toute notre
considération.
Il
y avait des dizaines de militants « alqaïdyines » (basistes) : de
l’institut agronomique, de la faculté des sciences, de la faculté de droit, de
l’ENS, de la faculté de médecine,… En frappant fort dans les milieux
d’étudiants progressistes, le ministre d’ l’intérieur d’alors, Driss Basri
avait ouvert, à la mouvance islamiste, les portes de l’université toutes
béantes. Comme il avait encouragé par la suite cette même mouvance à envahir
les plages et à ouvrir des camps de formation de véritables escadrons de la
mort.
A
Rabat, et comme tous les procès politiques qui se déroulent au Maroc, le procès
des dizaines militants et militantes arbitrairement arrêtés en janvier 1984 a
eu lieu en mars-avril 1984, et ce fût une véritable parodie, une mise en scène
où il y avait tout sauf la justice, la vérité et le sérieux.
Les
individus qui étaient en face des victimes, des avocats et des familles,
étaient de véritables marionnettes dont les ficelles étaient tirées par la
police. C’étaient de simples apprentis-acteurs qui agissaient selon les
instructions des souffleurs bien placés derrière le rideau du théâtre.
C’était
vraiment un moment de détente, du moins pour l’ex petit berger. Il avait
beaucoup ri. Il faut reconnaître que les étudiants ont su dénuder cette
comédie. A la barre, un étudiant parlait (avec ironie) d’Ismaïl : je suis
sorti d’ismaïl, revenu à Ismaïl,… il refusait de prononcer le mot Moulay, car
il s’agissait du camp Moulay Ismaïl. Les « magistrats » suffoquaient
de rage. Un autre, fixa son regard sur le procureur (celui-ci a eu vraiment
peur) puis lui dit : tu es insupportable, espèce de malpropre. Suite à une
plaidoirie d’un avocat « islamiste » où il avait récité un verset de
coran où il est dit entre autres que si on lit le coran sur une montagne, elle
va bouger malgré elle, un troisième étudiant se tournant vers le même avocat
lui dit : vous pouvez passer votre temps à réciter les versets de coran,
les sentences fixées par la police ne vont pas changer d’un iota.
Les
peines étaient « relativement » clémentes en comparaison avec les lourdes
peines prononcées dans les villes du Nord, à Marrakech et même à Casablanca.
Elles varièrent entre le non-lieu et une année de prison ferme, à l’exception
toutefois d’une peine de deux ans infligée au militant Driss Anaânaâ pour avoir
dessiné une carte où fut tracée la frontière qui sépare le Maroc du Sahara
occidenta, une année de plus pour quelques pointillés. L’ex petit berger, tête
de liste des accusés, a écopé d’une année de prison ferme. Ainsi, après 18 mois
de « liberté », il se retrouva en prison avec des dizaines de
militants, d’horizons politiques différents et dont la majorité faisait partie
de la deuxième génération des marxistes léninistes.
Faire
de la prison, ce n’est pas chose simple. Vous êtes condamnés à vivre dans un
réduit, dans la saleté, à voir de près la misère humaine où vivent des
centaines sinon des milliers de prisonniers de «droit commun ». La prison est
faite pour les opposants au système dominant, aux porteurs d’idées neuves. Elle
est faite pour les marginalisés, les exclus, pour les gens des bas-fonds de la
société qui commettent des actes irréfléchis, des imprudences impardonnables
qui leurs coûtent la pseudo-liberté dont ils jouissaient. Mais, dans les
prisons, vous trouvez aussi, et elles sont nombreuses, des victimes de
l’arbitraire, des victimes de règlements de comptes policiers, des innocents.
Pour ne pas aller en prison, il suffit de baisser la tête (pour ne pas dire la
culotte), d’obéir en « bon citoyen », d’applaudir ceux qui vous gouvernent, il
suffit d’avoir du pognon et ce quelque soit son origine. La prison est faite
pour les pauvres et pour ceux qui refusent l’assujettissement.
Dans
les prisons du Maroc naissent des bébés qui grandissent dans des conditions
scandaleuses.
La
martyre Saïda Mnebhi, communiste d’ILAL AMAM, a écrit de prison en janvier
1977 :
Cette
femme n’est pas seule
Elle
est comme tant d’autres
Victime
de l’exploitation
Du
pouvoir des laquais
De
New York et de Paris
Quand
je l’ai vue
Son
visage était calme
Un
masque livide
Qui
couve la terreur
Qui
cache la douleur
Car
l’homme qu’elle a aimé
Aujourd’hui
l’a trahie
Il
a prétexté l’adultère
Pour
la jeter en prison
Et
l’arracher à ses enfants
Le
fer creuse son coeur
Si
fort
Qu’elle
a vomi du sang
Et
elle est là
Gisante
et souffrante
Réclamant
justice à mille dieux
Mais
les assassins veulent l’achever
Car
elle est du peuple
Qui
demain prendra l’arme
Pour
la libérer.
Se
retrouver en prison n’est pas chose aisée, mais c’est un lourd tribut que tout
militant est prêt à payer pour des causes justes."
...........
"12 mois 13 jours
d’emprisonnement : Quelle riche expérience !
Au
cours de cette détention arbitraire, et malgré ses conditions difficiles, l’ex
berger a pu se rattraper en informations relatives à la réalité politique du
pays. C’était très enrichissant. Je me limite à citer certains faits.
–
La rencontre avec des cadres de la gauche de l’USFP, ceux qui allaient par la
suite constituer le PADS, lui a permis de mieux cerner les luttes de classes
qui secouaient le plus grand parti de l’opposition et l’implication directe du
palais dans ces luttes. L’Etat n’a pas hésité à intervenir directement le 8 mai
1983 pour arrêter les militants dévoués aux causes des masses populaires,
épaulant ainsi le bureau politique composé essentiellement des représentants
des couches sociales dont les intérêts fondamentaux sont liés aux intérêts des
classes réactionnaires dominantes.
Le
communiste a longuement discuté avec le grand militant Ben Amre, aujourd’hui
(2012) leader du PADS. Il a trouvé en lui un militant progressiste, anti makhzenien
convaincu, un dévoué aux causes des humbles. Un militant honnête et modeste. La
gauche marocain a besoin de ce type de militants.
–
Le communiste a eu des discussions avec Cheikh Yassine, leader d’Al Adl Oua Al
Ihsane. Il a quitté le monde des vivants en en décembre 2012. C’est un grand
homme, un grand intellectuel (il maîtrise aussi bien l’arabe que le français),
anti makhzenien convaincu. Leurs diagnostics politiques de la situation étaient
les mêmes. Ils étaient d’accord sur la nécessité de changement et sur
l’impératif engagement actif. Le changement ne peut se faire de l’intérieur des
institutions makhzeniennes. Les divergences (divergences exprimées dans des
formulations respectueuses) concernaient l’alternative. Cheikh Yassine
défendait des projets qui auraient existé dans le passé. Pour l’ex berger,
historiquement, ces projets n’ont jamais existé, et de toute façon ils sont
irréalisables dans la réalité actuelle de l’Humanité.
Ils
avaient discuté philosophie, Cheikh Yassine n’a pas été choqué par l’approche
matérialiste et dialectique de l’ex berger.
Les
autres tendances politiques, y compris les 5 jeunes islamistes arrêtés en
janvier 1984, refusaient d’approcher le leader islamiste qui vivait replié sur
lui-même. Il occupait une cellule individuelle.
Pour
les prisonniers politiques, à part la grande porte du quartier, les portes des
cellules restaient ouvertes. C’était un acquis arraché au prix de protestations
et de sit in.
Un
soir, et grâce à des « tuyaux » spéciaux, on apprit que Cheikh Yassine
était dans la grande cour, refusant de regagner sa cellule. Le sang coulait de
son nez. La majorité des prisonniers politiques refusèrent d’exprimer leur
solidarité. L’ex berger fut scandalisé par cette attitude négativiste. Ali Fkir
et Omar Zaïdi ont pu tromper la vigilance du gardien et descendirent dans la
cour. Cheikh Abdeslam Yassine était assis, du sang coulait de son nez. On
apprit de sa bouche qu’il a été agressé par le chef de détention (différent du
directeur de la prison).
La
meute des gardiens, à leur tête l’agresseur, arriva. Echange de mots, Zaïdi et
Fkir exigèrent du « chef » de présenter d’abord ses excuses à la
victime, avant de parler d’autres choses. Le bourreau commença à se justifier,
en terminant par la phrase suivante : celui-là et ses semblables sont
prêts à vous égorger vous progressistes, vous êtes leurs premiers ennemis.
Fou
de rage, Fkir répondit : c’est un prisonnier politique comme nous, nous
sommes tous les victimes de la répression du makhzen. Zaïdi intervint dans le même
sens. On prétendit qu’on était là au nom de tous les prisonniers politiques du
quartier moderne, ce qui était faux, mais il fallait bluffer.
Après
d’âpres discussions, de coups de fil,… l’agresseur baisa la tête du Cheikh, lui
présenta ses excuses et lui demanda pardon.
Cheikh
dit à haute voix : qu’Allah pardonne. Merci les amis !
Les
deux marxistes léninistes accompagnèrent l’islamiste Cheikh Yassine jusqu’à sa
cellule. On se souhaita une bonne nuit.
L’ex
berger a toujours essayé de ne pas oublier le principe de la stratification des
contradictions. Dans tout conflit, il faut toujours déterminer la contradiction
principale.
–
Il avait eu aussi d’occasion de faire connaissance de :
*
Laâziz le leader actuel (2012) du CNI. Militant aimable mais difficile à
« déchiffrer » politiquement et idéologiquement.
*
Mohamed Moujahid, ex patron du PSU, très sociable, aimable et honnête militant.
Il représentait dans le temps la tendance « dure » des
« Quaïdyines ». ILA AMAM et ses sympathisants dans le milieu estudiantin
étaient pour lui des réformistes qu’il fallait critiquer.
*
Mustapha Khalid, extraordinaire militant, humble, modeste. Il a été réélu par
ses camarades membre du Comité national d’ANNAHJ ADDIMOCRATI lors du
3ème congrès tenu à Casablanca les 13,14 et 15 juillet 2012.
*
Grine, membre du bureau politique (2012) du PPS, connu pour sa discipline
partisane. Il refusait d’assister à toute discussion qui remettait en question
la tyrannie de Hassan II. Il avait déclaré qu’il tenait, tel son parti, aux
valeurs sacrées du pays.
*
Omar Zaïdi, ancien cadre de « Line nakhdoume achchaâb », actuellement
(2012) il est l’un des dirigeant du parti des verts.
*
Sebbar Mohamed, secrétaire général aujourd’hui du CNDH (2012) et ex cadre du
PADS, ex président du FMVJ.
*Abdelkhalek
Benzekri, ex membre du bureau exécutif de l’UNEM (15ème congrès), il est
aujourd’hui (2012) l’un des infatigables et incontournables militants de
l’AMDH.
*
Abdelghani Raki, « quaïdi » dans le temps, aujourd’hui cadre du CNI
et de la CDT.
*
Gmira, tendance « dure » des quaïdyines, aujourd’hui cadre du PSU.
*
Abderrahim Tafnaout, ex « quaïdi », le courant ne passait pas entre lui et la
tendance « dure ». Ils se retrouvent aujourd’hui au sein du PSU pour
un même idéal. Il faut reconnaitre qu’il est resté fidèle à lui-même, ce sont
les autres qui ont changé.
Je
me limite à ces cas-là.
Lors
de l’été 1984, des militants qui avaient essayé de reconstituer « 23 mars
» avaient été enlevés, torturés dans les centres secrets de torture puis
coffrés à la prison Laâlou de Rabat. L’ex berger retrouva son ami Abdelilah
Benabsalem. En plus de ce dernier grand militant, de cet incontournable
militant des droits humains, il y avait Abdelghani Qabbaj aujourd’hui membre de
la direction du PSU, Boukarrou, Alami, El Fahli,… C’étaient des militants
extraordinaires, dévoués, honnêtes et modestes.
L’été
1984, c’était aussi la grève héroïque de la faim observée par des militants
arrêtés en janvier 1984 essentiellement à Marrakech. Cette grève fut la plus
longue de l’Histoire du Maroc. Les martyrs Boubker Douraïdi et Mustapha
Belhouari y laissèrent leurs vies respectivement le 27 août (à Essaouira) et le
28 août (à Safi). Des mois après, le martyr Abdelhak Chbaba allait perdre la
vie dans les mêmes conditions à la prison Laâlou de Rabat.
Cet
été là, et sous la pression du mouvement des familles, de l’opinion
publique nationale et internationale, et afin de créer du cafouillage autour de
la grève de la faim héroïque des détenus de Marrakech, Hassan II a été acculé à
libérer des dizaines et des dizaines de détenus politiques qui végétaient en
prison depuis plusieurs années, parmi eux se trouvaient les derniers
détenus de 1972, ceux du procès de 1977… Toutefois, il n’était pas question
pour le régime de relâcher une quarantaine de « têtes dures » d’ILAL AMAM. Il
fallait attendre 1989 pour qu’il relâchât les autres à l’exception toutefois
des « durs des durs » : Abraham Serfaty, Ahmed Aït Bennacer et
Abdellah Elharif. Ahmed Rakiz, ex militant de 23 mars allait être gardé aussi
en prison pour d’autres motifs. Il fallait attendre presque 3 années pour que
le régime expulse Serfaty prétextant qu’il n’est pas marocain (???!!!), du pur
Kafka, et qu’il relâche les autres.
Cette
nouvelle détention qui avait duré 12 mois et 13 jours est une riche expérience
pour l’ex petit berger. Il a pu vivre, discuter, débattre, rigoler avec des
dizaines de militants d’horizons politiques divers, de « générations »
différentes. La cohabitation était caractérisée par le respect mutuel, il n’y
avait eu aucun incident majeur. Les jours passés dans la cellule 13 resteront
(positivement) inoubliables. Ce passage a pu effacer l’amertume laissée par les
33 mois (septembre 1979 au juin 1982) passés au quartier A de la prison de
Kénitra.
Le
5 février 1985, après 12 mois et 13 jours de détentions arbitraire, l’ex petit
berger retrouva la rue, retrouva sa petite famille, ses camarades et ses amis.
Ils étaient là nombreux à attendre ceux qui ont purgé leurs peines et à leurs
têtes Zaïdi et Fkir. L’ex petit berger leva haut son poing gauche en signe de
défi, en signe de résistance, en signe de fidélité à la cause pour laquelle se
sont sacrifiés Zeroual, Saïda, Jbiha, Ben Berka, Cheikh Al Arab, Dahkoun,
Grina, Douraïdi, Belhouari et tant d’autres. Ils sont des milliers à mourir
sous la torture et à tomber sous les balles du régime."
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Bonjour Monsieur Fkir,
RépondreSupprimerpourquoi parlez-vous de l'amertume des 33 mois passés au quartier Alif de 79 à 82? que s'est-il passé à partir de là ? parlez-vous des conflits en interne? sur quelle ligne étiez-vous positionné?
merci