Le
premier grand procès des marxistes – léninistes marocains
Casablanca, été 1973.
Extraits du livre "le petit berger qui devint communiste"
"Le
groupe ILAL AMAM et sympathisants avaient décidé dés le mois d’août 1972 de
limiter le rôle des avocats au côté technique. Les avocats n’avaient pas à
s’immiscer dans les « affaires politiques », dans les négociations
avec les représentants de l’Etat ou donner des conseils. Cette décision allait
pousser Abderrahime Bouabid, M’hamed Boucetta, Abde Elkarim Benjelloune (ancien
ministre de la justice), à n’assister que Herzeni, Anis Balafrej,…"
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"Il
n’était pas question de demander la « libération », mais exiger un
procès public afin de s’exprimer, un procès qui ne pouvait être qu’inique dans
les conditions qui prévalaient au Maroc qui vivait sous un régime tyrannique.
Le verdict, les condamnations, le nombre d’années de prison étaient choses
secondaires pour les militants. Le procès devait être une tribune pour dénoncer
le régime, une occasion pour parler de ses repères idéologiques, expliquer son
programme politique,…"
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"Les
détenus d’ILAL AMAM étaient conscients de l’importance politique du procès
qui s’approchait. Face à la terreur de l’Etat policier : les
enlèvements, les assassinats, la dissolution des organisations progressistes, l’interdiction
des activités non maîtrisées par les relais du makhzen, la censure de toute
production/créativité à contenu démocratique, l’interdiction de toute
publication progressiste,… face à tout cela les communistes d’ILAL AMAM
tenaient à ce que le procès s’inscrive dans le cadre de la résistance du peuple
marocain. An niveau national, l’organisation révolutionnaire avait publié un
document/appel extraordinaire intitulé : bâtissons le parti révolutionnaire
sous les feux de l’ennemi ! (ma traduction). A l’inverse des courants
politiques qui cherchaient à éviter honteusement le courroux de palais, ILAL
AMAM releva le défi en prônant la lutte pour la république populaire.
Au
sein de la prison apparurent deux principales approches quant aux objectifs fixés
pour le procès : en coordination avec M’hamed Boucetta et Abderrahim
Bouabid, Anis Balafrej et Ahmed Herzeni décidèrent de proclamer l’innocence et
de ne pas se défendre en tant que marxistes. En coordination avec le
secrétariat national d’ILAL AMAM, les cadres emprisonnés (Amine, Fkir…)
devaient défendre le marxisme léninisme, le communisme, les grands traits du
programme de la révolution nationale démocratique et populaire établis par
l’organisation ; quant aux autres militants, ils devaient défendre la
légitimé des luttes des masses populaires et exposer les programmes
sectoriels tels les revendications des lycéens, des étudiants, des
intellectuels progressistes,…
Le
procès avait été fixé pour août-septembre 1973. Il a duré plusieurs semaines.
Il s’était déroulé dans des conditions difficiles, aussi bien pour les détenus
que pour leurs familles.
Une
armada de forces de répression amenait quotidiennement les détenus très tôt au
tribunal. Ils y restaient jusqu’à minuit passée. Les familles venues de tous
les coins du pays étaient obligées de rester à Casablanca dans des conditions
difficiles. Je profite de cette occasion pour rendre hommage aux familles
casablancaises qui avaient pris en charge des dizaines de personnes et ce
pendant des semaines. Mon hommage va essentiellement à Badia Skalli, à la
famille Khotbi, à la famille Amine,…
La
présence d’avocats étrangers (libanais,…), de ténors politiques (Bouabid,
Boucetta, Abdelkarim Benjelloun ex ministre de la justice…), l’assurance qu’a
eu le palais (par l’intermédiaire de ces dernières personnes) que le fils de
son conseiller n’allait pas s’attaquer aux « institutions sacrées »,…
tout cela a permis aux « inculpés » de s’exprimer « librement »
et pendant le temps nécessaire.
Les
gens de la radio et la télévision officielles étaient là.
Les
détenus avaient réfuté le contenu des PV de la police et s’étaient attaqués aux
divers aspects des politiques de l’Etat dans les différents domaines.
Derkaoui,
Amine et Fkir s’étaient défendus en tant que communistes, en tant que marxistes
léninistes. L’enregistrement des déclarations se trouve aujourd’hui aux
archives de la RTM.
Le
juge/président, fervent monarchiste aux réactions fascistes, jouait le rôle du
flic, de procureur du roi,… sauf le rôle d’un honnête juge. Quarante ans après,
le comportement des « juges » dans les affaires politiques n’a pas
changé. Les peines d’emprisonnement sont toujours décidées par des services
extrajudiciaires.
Le
procureur du roi était sympathique, il ne voyait aucun inconvénient à ce que
les « accusés » s’expriment librement, à ce que les avocats posent
sans pression aucune leurs questions. Il fut immédiatement remplacé. Il aura
connu par la suite des problèmes avec les services de l’Etat. Il fut remplacé
par un véritable fasciste.
Malgré
la fatigue, la faim, la soif, la pression policière,… les détenus politiques
rigolaient. La salle, pleine à craquer, applaudissait. Les familles étaient là,
de même que des dizaines d’avocats. Les marionnettes qui « géraient »
le procès étaient vraiment ridicules.
Le
tribunal fut transformé en tribune politique. Ce fut la première fois que des
militants marocains défendaient le communisme, la révolution. Les va-et–vient
entre le tribunal et la prison constituaient des occasions pour scander
les slogans révolutionnaires, c’étaient de véritable manifestations.
Bouchikhi,
un militant palestinien, avait été assassiné en Europe. En pleine séance
du procès, le militant Aziz Loudyi se mit debout et demanda à l’assistance
d’observer une minute de silence à la mémoire du martyr palestinien. Tout le
monde se mit debout, les « juges » s’enfuirent et quittèrent la
salle. C’était extraordinaire ! Rappelons que le militant Loudyi, a été
arrêté arbitrairement quelques mois après l’arrivée du dernier groupe des
prisonniers. Il n’a jamais été cité dans les PV de police. Après l’enlèvement
du militant Aziz Mnebhi au lendemain de la dissolution de l’UNEM dont il était
président, Loudyi, son beau-frère était allé au commissariat enquêter sur le
sort de Mnebhi. C’est ainsi qu’il fut arrêté en tant que cadre de l’UNEM et
amené à Casablanca rejoindre les détenus marxistes-léninistes. C’est ce
qu’avait compris l’ex petit berger. Il a été condamné par la suite à 10 ans de
prison ferme.
La
nuit du verdict arriva : après quelques 3 heures de lecture des
« considérations » et autres âneries, le « juge »
annonça (vers six heures du matin) en direct à la radio, les sentences : 5
condamnations à 15 ans de prison ferme (Amine, Herzeni, Derkaoui, Assidon, Bari,
Balafrej), plusieurs condamnations à 10 ans, 5 ans fermes, 18 mois fermes, 5
ans avec sursis, et des acquittements. Les militants scandaient des
slogans, s’embrassaient. Les familles tinrent courageusement le coup. Les
avertis s’attendaient à pire, les naïfs se faisaient des illusions.
Comme
dans tous les procès politiques, les peines sont fixées par les services de la
police en coordination avec les gens du palais. Le rôle de tout juge ne dépasse
pas le rôle du simple figurant d’un film navet.
Les
condamnés « regagnèrent » les cellules tout en étant prêts à faire
dignement face aux années d’emprisonnement qui les attendaient.
La
famille de « l’ex berger », perdue dans le près-saharien à plus de
600 km de Casablanca, apprit sa condamnation grâce à la radio (journal
d’info de 7h du matin). Son père, ancien résistant, s’attendait au pire.
Quelques
jours après, il reçut la visite d’un frère et des gens de Beni Tadjit. Il était
là devant eux, tout souriant, en disant que le procès s’était bien passé, que
les condamnés étaient satisfaits, et qu’ils avaient pu dire ce qu’il fallait
dire.."
Photos/archives été 1973
Fkir en prison 1981
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