Les militants ittihadis et marxistes
léninistes,
Extrait du livre "Le petit berger qui devint communiste"
"Le
premier groupe de militants ittihadis qui rejoignirent la dizaine de
marxistes léninistes arriva de Fès. Il comprenait des militants originaires
d’Aoufous (Errachidia) mais également des régions d’Oujda, de Beni Mellal,
d’Agadir,… A part deux ou trois bacheliers, la majorité des autres ne savait ni
lire ni écrire, c’était essentiellement des travailleurs (paysan, petits
commerçants et autres travailleurs…), parmi eux des personnes âgées tels
« Da » Hmad de Ouaouizzaght, « Ammi » Lahcen, des militants
inoubliables.
C’était
des militants extraordinaires. Ils s’étaient intégrés sans problème aucun au
groupe des marxistes léninistes.
L’ex
petit berger doit souligner que tous les prisonniers avec qui il a eu l’honneur
de « partager » les geôles du régime étaient animés par les grandes
valeurs progressistes : la tolérance, le respect mutuel, la laïcité (ce
qui est différent bien sûr de l’athéisme), la solidarité, l’antimonarchisme,…
Pas de drogue, pas d’homosexualité, pas de violence.
Parmi
des cas « particuliers » :
–
Lyazid, natif du Souss, il avait rejoint les rangs du FLN algérien à la fin des
années 50. Après l’indépendance de l’Algérie, il s’installa à Oran (si je ne me
trompe pas). Il se maria, ouvrit une boutique. Il vivait heureux tout en
restant attaché à son pays natal le Maroc en rejoignant les rangs de l’UNFP. En
1974, il a été invité à un dîner organisé par des « militants »
unfpéistes installés en Algérie. Après le dîner, il « s’endormit »
pour se réveiller le lendemain dans un centre de torture au Maroc.
–
Lahcen Oulhaj, natif d’Aoufous, aujourd’hui (2012) doyen de la fac de droit de
Rabat, avait échappé de justesse à la condamnation à mort. Il a été accusé avec
deux autres militants de son village d’avoir suivi en Libye un entraînement
militaire pour contribuer activement à la lutte armée contre le régime
marocain. Une fois sorti de la prison, il se consacra aux études et à la
défense de la cause de Tamazight. C’est un grand intellectuel, un économiste de
référence.
–
Le prolétaire Ben Moussa, militant unfpéiste de la première heure, il a été
arrêté alors qu’il travaillait dans les mines de charbon de Jerada. Il
souffrait de la silicose que les houilleurs attrapent facilement du fait de
leur travail dans des galeries minières, il étouffait en prison, il a été
délaissé cyniquement. A trois jours de son décès (je dis bien à TROIS jours),
Hassan II lui « accorda la grâce » pour mourir à l’extérieur de la
prison. C’était un militant prolétaire exceptionnel.
–
« Da » Hmad et « Ammi » Lahcen, résistants de première
heure contre le colonialisme français, ils ont souffert de la tyrannie de
Hassan II.
En
réalité, tout prisonnier a une histoire riche.
Quarante
ans après 1973, des arrivistes de dernière minute profitent des
« retombées » des sacrifices d’autrui, de la résistance du peuple
marocain, pour « grimper l’échelle sociale » et ce, au nom du
« patriotisme » pour les uns, et au nom de l’islam pour d’autres.
Le
groupe du « procès de Marrakech » (Ahmed Benjelloune, Lahbib Al
Farkani,…) était incarcérés au quartier G2. Nous étions séparés par une porte.
La cour était « commune » mais tout contact était interdit. On se
limitait à des échanges de mots écrits et ce, par le truchement des canaux
spéciaux.
Ce
groupe fut relâché par la suite et, à sa place, l’administration
« plaça » des dizaines d’autres militants ittihadis, dont l’ossature
était composée des militants de Khénifra et de Figuig.
L’ex
petit berger et ses camarades du groupe marxiste léniniste (groupe de 1972)
allaient vivre quelques années avec ces groupes de militants ittihadis, sans
problème aucun. Même dans la vie quotidienne, les « contradictions »
qui surgissaient (elles étaient minimes et d’ordre plutôt social) étaient
horizontales et jamais verticales. Les problèmes politiques ? Religieux ?
Ethniques (arabes, amazighs) ? Sociaux ? intellectuels
(instruits et analphabètes) ? JAMAIS. JAMAIS.
Le
respect mutuel, la tolérance, la solidarité, la résistance, l’antimakhzen, la
laïcité,… étaient les grandes valeurs qui animaient tous les prisonniers
politiques, marxistes léninistes et ittihadis.
L’ex
petit berger était aux « anges ». Il retrouva des anciens amis tels
Ahmed Akaddaf (ex lauréat de l’INSEA), Kamar (ancien élève du Lycée Moulay
Ismaïl à Meknès). Il allait faire connaissance de plusieurs d’autres :
paysans, nomades, ouvriers, artisans,…
Il
y avait moins de 10 intellectuels, que des dizaines et des dizaines de
militants « simples ». Les « intellectuels/politiciens »
ont été acquittés par le « tribunal » et se sont retrouvés dans un
camp d’internement, isolés du monde extérieur. Hassan II les utilisa comme
moyen de chantage pour obtenir la reddition définitive de la direction de l’UNFP/USFP.
Bouabid, Radi, El Yazghi et autres potentats du parti acceptèrent le
« marché de dupe ». La direction accepta de bannir du rang du parti
Fqih Mohamed Basri et les autres symboles de la résistance armée, de
renier les principes révolutionnaires préconisés par Mehdi Ben Barka, Cheikh El
Arab, Dahkoune et tous les martyrs ittihadis. Cette direction accepta de
défendre les grands choix du palais.
Les
« politiciens/intellectuels » furent relâchés. Il n’était pas
question de relâcher les « porteurs de sandales », les « gens
des armes », les antimonarchiques.
Les
« politiciens » allaient préparer à leur guise le congrès
extraordinaire en dehors de la participation des courants radicaux dont les
symboles se trouvaient en prison ou en exil forcé. Le congrès a été tenu en
janvier 1975, date de la création de l’USFP, date de divorce avec
« l’option révolutionnaire ». Des dizaines de militants allaient
végéter dans les geôles du régime pendant des années après ce tournant
historique. Après avoir été condamné par les « tribunaux » du régime,
ils furent condamnés politiquement par leurs « camarades » d'hier. Le
martyr Omar Benjelloune, qui était certainement de bonne foi, allait payer de
sa vie l’erreur politique, l’erreur d’appréciation. Ceux qui croient que ce
sont des islamistes qui l’ont tué en décembre 1975 se trompent. Il a été tué
par les services occultes de l’Etat makhzenien. Les « dirigeants de l’USFP »
le savent très bien, comme ils savent que le grand Mehdi Ben Barka a été enlevé
sur ordre de Hassan II.
L’ex
petit berger était conscient des enjeux de l’époque. Le mouvement marxiste
léniniste a connu plus ou moins les mêmes déchirements. J’y reviendrai.
Il
avait l’occasion de connaître de grands militants ittihadis tels : le
cheminot Filahi, le prolétaire Sabri (mineur dans les mines de la région
d’Ouarzazate) arrêté puis licencié abusivement en 1959/60, il
« retravailla » à Casablanca, Ikhich, ancien mineur et ouvrier en
Hollande (si je ne me trompe pas du pays), des nomades, paysans, des petits
artisans, des commis, de Khénifra, de Figuig, des militaires… tels
l’inoubliable Ali Skounti, Addichane de la région d’Errachidia, Afoukouh,
Amharche d’El Hajeb…
Relisons
ce que j’avais écrit en avril 2009 en revenant du Missour : «En traversant Elhajeb, je garde le silence, Mohammed
(Mousaoui) me demande si j’étais fatigué, j’ai répondu qu’après le déjeuner, je
ferme généralement les yeux pour quelques minutes. En réalité ce n’était pas
une question de sommeil. Elhajeb, ce sont 3 souvenirs :
- On
a partagé la prison avec l’adjudant Amharch, arrêté au lendemain des événements
de mars 1973. Grand intellectuel, bon vivant, laïc. On se parlait en tamazight.
Je n’oublierai jamais ce qu’il m’a raconté un jour : « Ali, ce qui me
fait souffrir le plus, ce qui m’empêche de dormir la nuit, c’est la blessure
profonde inguérissable que je porte à l’intérieur. Dans les locaux de la
gendarmerie, après des scènes de tortures indescriptibles, ils ont amené ma
femme pour la torturer devant moi. Ma femme, loin des tourbillons politiques, femme
au foyer qui s’occupait seulement de la famille, a vécu l’enfer devant moi. Ils
étaient sadiques. J’étais incapable de faire quoi que se soit pour elle. Ce
cauchemar m’accompagnera jusqu’au tombeau ».
Nous avons perdu
ce grand patriote, ce grand intellectuel militaire.
Honte à ceux qui
me parlent aujourd’hui de la « page tournée » et surtout à ceux qui
ont passé des années de prison avec des centaines de paysans (de Khénifra, Kasr
Essouk, Figuig…) qui avaient subi, en plus de la torture, des pratiques dégradantes,
honte à ces renégats qui sont devenus aujourd’hui avocats des
tortionnaires et valets du palais.
- Alla AfaKouh,
mokhazni au palais royal de Fés, il a été arrêté après les événements de 3 mars
1973. Il a vécu l’enfer des centres de torture. On a vécu ensemble des années
de prison. Il ne se plaignait jamais. Sérieux, homme de parole. Il n’a jamais
cessé de lutter pour la vérité. Nous avons perdu ce grand militant en 2008
(...) ». (extrait du « Maroc profond »)
L’ex
petit berger passait du temps à discuter, la plupart du temps en tamazight,
avec ces militants venus des entrailles de la société, des militants sincères,
des militants non imprégnés des « pratiques philistines des petits
bourgeois de la ville ». Pas de jugement de « valeur » : que tu
fasses la prière ou non, que tu jeûnes ou non, l’essentiel c’est le respect de
l’autre. Le militant Assidon, issu d’une famille juive, Amine natif de Fès,
Derkaoui le jebli, étaient très appréciés, respectés, écoutés et ce malgré le
handicap de la langue. Amine était toujours entouré de « Da » Hmad,
Bouhajla, El Yazid,… ils parlaient de tout, de choses sérieuses et de moins
sérieuses. Ils s’esclaffaient. Le moral de tous les détenus était au beau fixe
et ce malgré les drames familiaux que vivaient certains.
L’ex
petit berger retrouva avec plaisir son camarade d’études Akaddaf, farouche
antimakhzenien. Il a une capacité extraordinaire de raconter des blagues de
toute nature : politiques, sociales…
Du
point de vue organisationnel, Amine, Laâbi et Fkir, qui représentaient
l’organisation ILAL AMAM au sein de la prison (groupe de 1972), étaient restés
en contact avec la direction nationale et ce malgré la politique de
déracinement entreprise par l’Etat makhzenien.
Je
profite de cette partie pour donner une idée de l’évolution de la direction
d’ILAL AMAM.
-
Août 1970 : désignation du "comité/la commission de coordination
nationale provisoire". C'est la première instance dirigeante d'ILAL AMAM
("A"). Elle était composée de A.
Serfaty, A. Laâbi, J. Belkhdar, H. Benaddi, R. Benaïme, A. Mansouri, A. Fkir.
Quelques
mois après, Benaddi (deux mois) a quitté l'organisation, Benaïm pour des
raisons de travail (ou études) ne participait plus aux réunions.
Trois
militants rejoignirent ILAL AMAM et sa direction : Abdelhamid Amine
cadre du PLS/PCM à l’étranger qui n’a pas pu assister à la réunion de
constitution, Abdellatif Zeroual et Belabbès Mouchtari, deux grands militants
sans appartenance politique.
Donc
jusqu'à la "conférence nationale" du 31 décembre 1971 - 1er janvier
1972, l'organisation "ILAL AMAM" ("A") a été dirigée par:
Serfaty, Laâbi, Belakhdar, Mansouri, Fkir, Amine, Zeroual et Mouchatri. Notons
que le véritable cerveau d'ILAL AMAM était constitué du trio: SERFATY, AMINE, ZEROUAL.
La
conférence nationale du 31/12/71 - 01/01/72 avait élu un comité national (genre
du comité central) qui a élu à son tour à l'unanimité le secrétariat national
(genre bureau politique) composé de SERFATY,
LAABI, AMINE, ZEROUAL, MOUCHTARI.
En
mars 1972, Laâbi fut arrêté. Fin mai 1972, Amine fut arrêté à son tour.
Jusqu’en
novembre 1974, le secrétariat national d’ILAL AMAM étair composé de Serfaty,
Zeroual, Mouchtari, Fakihani et Zaâzaâ. Les deux derniers ont remplacé Laâbi et
Amine arrêtés en 1972.
Après
les arrestations de novembre 1974, ILAL AMAM serait dirigée par le
trio : Mouchtari, Fakihani et Safi.
De
l'intérieur de la prison (groupe 1972) et en coordination permanente avec le
secrétariat nationale, ILAL AMAM était dirigée par le trio : Amine,
laâbi et Fkir et ce, de 1972 à 1979.
Pour
le groupe du procès 1977 ainsi que pour l'étranger et malgré ce que je possède
comme informations, je ne peux pas donner avec exactitude les compositions des
instances dirigeantes.
Après
la vague des arrestations des années 74-75-76-77-78, le mouvement marxiste
léniniste (organisé) à l'intérieur du Maroc fut pratiquement décimé Il
subsistait à l'étranger.
A
partir de 1979, un groupe de militants d'ILAL AMAM avait bravé (avec
détermination) tous les obstacles et a repris la "reconstruction"
d'ILAL AMAM. Ce groupe était dirigé par le
camarade "E" (qui n'était autre que le camarade Mustapha
Brahma).
"Renée"
des cendres, ILAL AMAM a pu donner un nouveau souffle au mouvement marxiste
léniniste marocain et une dynamique (que seuls les négativistes dénigrent
aujourd’hui) à la résistance radicale du peuple marocain. Le soulèvement
populaire de janvier 1984 en témoigne. Il suffit de réécouter le discours du
dictateur Hassan II, de relire les communiqués d'ILAL AMAM d'alors, pour se
rendre compte du rôle actif qu'avait joué ILAL AMAM réorganisé sous la
direction du camarade BRAHMA et d'autres militants (Amine Tahani, Chbari,
Samir, redouan, Ajarrar…).
L’ex
berger vivait (impuissant) de l’intérieur de la prison avec tristesse et
rage la répression qui s’abattait sur le
mouvement révolutionnaire marocain, le démantèlement des organisations de
résistance. Des larmes de rage avaient coulé lorsque Dahkoune et ses camarades,
El Malyani et ses camarades furent exécutés, lorsque Serfaty fut arrêté, lorsqu’il
Abdellatif Zeroual succomba sous la torture, lorsque Saïda succomba après 36
jours de grève de la faim,…
De
l’intérieur de la prison, on pouvait « suivre/constater » l’évolution
du trend de la résistance populaire, ses hauts et ses bas, les mutations
sociales, la « mobilité » des changements de camp dans les milieux
politiques, les crises et expansions économiques, sans parler des données
relatives à la situation internationale."
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