vendredi 29 août 2014

Les militants ittihadis et marxistes léninistes, même ennemi, même combat (en fr)


Les militants ittihadis et marxistes léninistes,
même ennemi, même combat




Extrait du livre "Le petit berger qui devint communiste"
"Le premier groupe de militants ittihadis qui rejoignirent la dizaine de marxistes léninistes arriva de Fès. Il comprenait des militants originaires d’Aoufous (Errachidia) mais également des régions d’Oujda, de Beni Mellal, d’Agadir,… A part deux ou trois bacheliers, la majorité des autres ne savait ni lire ni écrire, c’était essentiellement des travailleurs (paysan, petits commerçants et autres travailleurs…), parmi eux des personnes âgées tels « Da » Hmad de Ouaouizzaght, « Ammi » Lahcen, des militants inoubliables.
C’était des militants extraordinaires. Ils s’étaient intégrés sans problème aucun au groupe des marxistes léninistes.
L’ex petit berger doit souligner que tous les prisonniers avec qui il a eu l’honneur de « partager » les geôles du régime étaient animés par les grandes valeurs progressistes : la tolérance, le respect mutuel, la laïcité (ce qui est différent bien sûr de l’athéisme), la solidarité, l’antimonarchisme,… Pas de drogue, pas d’homosexualité, pas de violence.
Parmi des cas « particuliers » :
– Lyazid, natif du Souss, il avait rejoint les rangs du FLN algérien à la fin des années 50. Après l’indépendance de l’Algérie, il s’installa à Oran (si je ne me trompe pas). Il se maria, ouvrit une boutique. Il vivait heureux tout en restant attaché à son pays natal le Maroc en rejoignant les rangs de l’UNFP. En 1974, il a été invité à un dîner organisé par des « militants » unfpéistes installés en Algérie. Après le dîner, il « s’endormit » pour se réveiller le lendemain dans un centre de torture au Maroc.
– Lahcen Oulhaj, natif d’Aoufous, aujourd’hui (2012) doyen de la fac de droit de Rabat, avait échappé de justesse à la condamnation à mort. Il a été accusé avec deux autres militants de son village d’avoir suivi en Libye un entraînement militaire pour contribuer activement à la lutte armée contre le régime marocain. Une fois sorti de la prison, il se consacra aux études et à la défense de la cause de Tamazight. C’est un grand intellectuel, un économiste de référence.
– Le prolétaire Ben Moussa, militant unfpéiste de la première heure, il a été arrêté alors qu’il travaillait dans les mines de charbon de Jerada. Il souffrait de la silicose que les houilleurs attrapent facilement du fait de leur travail dans des galeries minières, il étouffait en prison, il a été délaissé cyniquement. A trois jours de son décès (je dis bien à TROIS jours), Hassan II lui « accorda la grâce » pour mourir à l’extérieur de la prison. C’était un militant prolétaire exceptionnel.
– « Da » Hmad et « Ammi » Lahcen, résistants de première heure contre le colonialisme français, ils ont souffert de la tyrannie de Hassan II.
En réalité, tout prisonnier a une histoire riche.
Quarante ans après 1973, des arrivistes de dernière minute  profitent des « retombées » des sacrifices d’autrui, de la résistance du peuple marocain, pour « grimper l’échelle sociale » et ce, au nom du « patriotisme » pour les uns, et au nom de l’islam pour d’autres.
Le groupe du « procès de Marrakech » (Ahmed Benjelloune, Lahbib Al Farkani,…) était incarcérés au quartier G2. Nous étions séparés par une porte. La cour était « commune » mais tout contact était interdit. On se limitait à des échanges de mots écrits et ce, par le truchement des canaux spéciaux.
Ce groupe fut relâché par la suite et, à sa place, l’administration « plaça » des dizaines d’autres militants ittihadis, dont l’ossature était composée des militants de Khénifra et de Figuig.
L’ex petit berger et ses camarades du groupe marxiste léniniste (groupe de 1972) allaient vivre quelques années avec ces groupes de militants ittihadis, sans problème aucun. Même dans la vie quotidienne, les « contradictions » qui surgissaient (elles étaient minimes et d’ordre plutôt social) étaient horizontales et jamais verticales. Les problèmes politiques ? Religieux ? Ethniques (arabes, amazighs) ? Sociaux ? intellectuels (instruits et analphabètes) ? JAMAIS. JAMAIS.
Le respect mutuel, la tolérance, la solidarité, la résistance, l’antimakhzen, la laïcité,… étaient les grandes valeurs qui animaient tous les prisonniers politiques, marxistes léninistes et ittihadis.
L’ex petit berger était aux « anges ». Il retrouva des anciens amis tels Ahmed Akaddaf (ex lauréat de l’INSEA), Kamar (ancien élève du Lycée Moulay Ismaïl à Meknès). Il allait faire connaissance de plusieurs d’autres : paysans, nomades, ouvriers, artisans,…
Il y avait moins de 10 intellectuels, que des dizaines et des dizaines de militants « simples ». Les « intellectuels/politiciens » ont été acquittés par le « tribunal » et se sont retrouvés dans un camp d’internement, isolés du monde extérieur. Hassan II les utilisa comme moyen de chantage pour obtenir la reddition définitive de la direction de l’UNFP/USFP. Bouabid, Radi, El Yazghi et autres potentats du parti acceptèrent le « marché de dupe ». La direction accepta de bannir du rang du parti Fqih Mohamed  Basri et les autres symboles de la résistance armée, de renier les principes révolutionnaires préconisés par Mehdi Ben Barka, Cheikh El Arab, Dahkoune et tous les martyrs ittihadis. Cette direction accepta de défendre les grands choix du palais.
Les « politiciens/intellectuels » furent relâchés. Il n’était pas question de relâcher les « porteurs de sandales », les « gens des armes », les antimonarchiques.
Les « politiciens » allaient préparer à leur guise le congrès extraordinaire en dehors de la participation des courants radicaux dont les symboles se trouvaient en prison ou en exil forcé. Le congrès a été tenu en janvier 1975, date de la création de l’USFP, date de divorce avec « l’option révolutionnaire ». Des dizaines de militants allaient végéter dans les geôles du régime pendant des années après ce tournant historique. Après avoir été condamné par les « tribunaux » du régime, ils furent condamnés politiquement par leurs « camarades » d'hier. Le martyr Omar Benjelloune, qui était certainement de bonne foi, allait payer de sa vie l’erreur politique, l’erreur d’appréciation. Ceux qui croient que ce sont des islamistes qui l’ont tué en décembre 1975 se trompent. Il a été tué par les services occultes de l’Etat makhzenien. Les « dirigeants de l’USFP » le savent très bien, comme ils savent que le grand Mehdi Ben Barka a été enlevé sur ordre de Hassan II.
L’ex petit berger était conscient des enjeux de l’époque. Le mouvement marxiste léniniste a connu plus ou moins les mêmes déchirements. J’y reviendrai.
Il avait l’occasion de connaître de grands militants ittihadis tels : le cheminot Filahi, le prolétaire Sabri (mineur dans les mines de la région d’Ouarzazate) arrêté puis licencié abusivement en 1959/60, il « retravailla » à Casablanca, Ikhich, ancien mineur et ouvrier en Hollande (si je ne me trompe pas du pays), des nomades, paysans, des petits artisans, des commis, de Khénifra, de Figuig, des militaires… tels l’inoubliable Ali Skounti, Addichane de la région d’Errachidia, Afoukouh, Amharche d’El Hajeb…
Relisons ce que j’avais écrit en avril 2009 en revenant du Missour : «En traversant Elhajeb, je garde le silence, Mohammed (Mousaoui) me demande si j’étais fatigué, j’ai répondu qu’après le déjeuner, je ferme généralement les yeux pour quelques minutes. En réalité ce n’était pas une question de sommeil. Elhajeb, ce sont 3 souvenirs :
- On a partagé la prison avec l’adjudant Amharch, arrêté au lendemain des événements de mars 1973. Grand intellectuel, bon vivant, laïc. On se parlait en tamazight. Je n’oublierai jamais ce qu’il m’a raconté un jour : « Ali, ce qui me fait souffrir le plus, ce qui m’empêche de dormir la nuit, c’est la blessure profonde inguérissable que je porte à l’intérieur. Dans les locaux de la gendarmerie, après des scènes de tortures indescriptibles, ils ont amené ma femme pour la torturer devant moi. Ma femme, loin des tourbillons politiques,  femme au foyer qui s’occupait seulement de la famille, a vécu l’enfer devant moi. Ils étaient sadiques. J’étais incapable de faire quoi que se soit pour elle. Ce cauchemar m’accompagnera jusqu’au tombeau ».
Nous avons perdu ce grand patriote, ce grand intellectuel militaire.
Honte à ceux qui me parlent aujourd’hui de la « page tournée » et surtout à ceux qui ont passé des années de prison avec des centaines de paysans (de Khénifra, Kasr Essouk, Figuig…) qui avaient subi, en plus de la torture, des pratiques dégradantes, honte à  ces renégats qui sont devenus aujourd’hui avocats des tortionnaires et valets du palais.
- Alla AfaKouh, mokhazni au palais royal de Fés, il a été arrêté après les événements de 3 mars 1973. Il a vécu l’enfer des centres de torture. On a vécu ensemble des années de prison. Il ne se plaignait jamais. Sérieux, homme de parole. Il n’a jamais cessé de lutter pour la vérité. Nous avons perdu ce grand militant en 2008 (...) ». (extrait du « Maroc profond »)
L’ex petit berger passait du temps à discuter, la plupart du temps en tamazight, avec ces militants venus des entrailles de la société, des militants sincères, des militants non imprégnés des « pratiques philistines des petits bourgeois de la ville ». Pas de jugement de « valeur » : que tu fasses la prière ou non, que tu jeûnes ou non, l’essentiel c’est le respect de l’autre. Le militant Assidon, issu d’une famille juive, Amine natif de Fès, Derkaoui le jebli, étaient très appréciés, respectés, écoutés et ce malgré le handicap de la langue. Amine était toujours entouré de « Da » Hmad, Bouhajla, El Yazid,… ils parlaient de tout, de choses sérieuses et de moins sérieuses. Ils s’esclaffaient. Le moral de tous les détenus était au beau fixe et ce malgré les drames familiaux que vivaient certains.
L’ex petit berger retrouva avec plaisir son camarade d’études Akaddaf, farouche antimakhzenien. Il a une capacité extraordinaire de raconter des blagues de toute nature : politiques, sociales…
Du point de vue organisationnel, Amine, Laâbi et Fkir, qui représentaient l’organisation ILAL AMAM au sein de la prison (groupe de 1972), étaient restés en contact avec la direction nationale et ce malgré la politique de déracinement entreprise par l’Etat makhzenien.
Je profite de cette partie pour donner une idée de l’évolution de la direction d’ILAL AMAM.
- Août 1970 : désignation du "comité/la commission de coordination nationale provisoire". C'est la première instance dirigeante d'ILAL AMAM ("A"). Elle était composée de A. Serfaty, A. Laâbi, J. Belkhdar, H. Benaddi, R. Benaïme, A. Mansouri, A. Fkir.
Quelques mois après, Benaddi (deux mois) a quitté l'organisation, Benaïm pour des raisons de travail (ou études) ne participait plus aux réunions.
Trois militants rejoignirent ILAL AMAM et sa direction : Abdelhamid Amine cadre du PLS/PCM à l’étranger qui n’a pas pu assister à la réunion de constitution, Abdellatif Zeroual et Belabbès Mouchtari, deux grands militants sans appartenance politique.
Donc jusqu'à la "conférence nationale" du 31 décembre 1971 - 1er janvier 1972, l'organisation "ILAL AMAM" ("A") a été dirigée par: Serfaty, Laâbi, Belakhdar, Mansouri, Fkir, Amine, Zeroual et Mouchatri. Notons que le véritable cerveau d'ILAL AMAM était constitué du trio: SERFATY, AMINE, ZEROUAL.
La conférence nationale du 31/12/71 - 01/01/72 avait élu un comité national (genre du comité central) qui a élu à son tour à l'unanimité le secrétariat national (genre bureau politique) composé de SERFATY, LAABI, AMINE, ZEROUAL, MOUCHTARI.
En mars 1972, Laâbi fut arrêté. Fin mai 1972, Amine fut arrêté  à son tour.
Jusqu’en novembre 1974, le secrétariat national d’ILAL AMAM étair composé de Serfaty, Zeroual, Mouchtari, Fakihani et Zaâzaâ. Les deux derniers ont remplacé Laâbi et Amine arrêtés en 1972.
Après les arrestations de novembre 1974, ILAL AMAM serait dirigée par le trio : Mouchtari, Fakihani et Safi.
De l'intérieur de la prison (groupe 1972) et en coordination permanente avec le secrétariat nationale, ILAL AMAM  était dirigée par le trio : Amine, laâbi et Fkir et ce, de 1972 à 1979.
Pour le groupe du procès 1977 ainsi que pour l'étranger et malgré ce que je possède comme informations, je ne peux pas donner avec exactitude les compositions des instances dirigeantes.
Après la vague des arrestations des années 74-75-76-77-78, le mouvement marxiste léniniste (organisé) à l'intérieur du Maroc fut pratiquement décimé Il subsistait à l'étranger.
A partir de 1979, un groupe de militants d'ILAL AMAM avait bravé (avec détermination) tous les obstacles et a repris la "reconstruction" d'ILAL AMAM. Ce groupe était dirigé par le camarade "E" (qui n'était autre que le camarade Mustapha Brahma).
"Renée" des cendres, ILAL AMAM a pu donner un nouveau souffle au mouvement marxiste léniniste marocain et une dynamique (que seuls les négativistes dénigrent aujourd’hui) à la résistance radicale du peuple marocain. Le soulèvement populaire de janvier 1984 en témoigne. Il suffit de réécouter le discours du dictateur Hassan II, de relire les communiqués d'ILAL AMAM d'alors, pour se rendre compte du rôle actif qu'avait joué ILAL AMAM réorganisé sous la direction du camarade BRAHMA et d'autres militants (Amine Tahani, Chbari, Samir, redouan, Ajarrar…).
L’ex berger vivait (impuissant) de l’intérieur de la prison avec tristesse et rage  la répression qui s’abattait sur le mouvement révolutionnaire marocain, le démantèlement des organisations de résistance. Des larmes de rage avaient coulé lorsque Dahkoune et ses camarades, El Malyani et ses camarades furent exécutés, lorsque Serfaty fut arrêté, lorsqu’il Abdellatif Zeroual succomba sous la torture, lorsque Saïda succomba après 36 jours de grève de la faim,…

De l’intérieur de la prison, on pouvait « suivre/constater » l’évolution du trend de la résistance populaire, ses hauts et ses bas, les mutations sociales, la « mobilité » des changements de camp dans les milieux politiques, les crises et expansions économiques, sans parler des données relatives à la situation internationale."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire