Pour le prisonnier, la grève de la faim est l'une de ses armes de résistance/lutte : arme d'une offensive (planifiée) politique, une (l'ultime)arme de défense contre l’agression/l'étouffement
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"La grève
de la faim
Que
devait être le rôle d’un militant après son arrestation ?
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Premièrement : résister à la torture et ne rien donner aux tortionnaires.
Certes, c’est difficile. Ceux et celles qui n’ont jamais été torturés croient
que c’est simple.
Pour
résister, il faut être armé de l’idée que pratiquement c’est possible, et être
convaincu que quelques soient les moyens utilisés par les tortionnaires,
il ne faut rien lâcher. Il en va de la vie de militants et de l’avenir de
l’organisation.
–
Deuxièmement : refuser de répondre aux juges sans la présence des avocats.
–
Troisièmement : garder sa dignité en prison. Ne pas toucher aux drogues,
ne pas être tenté par l’homosexualité, ne pas établir des relations « douteuses
» avec l’administration. Etre animé par les valeurs communistes telles la
solidarité, l’honnêteté, la simplicité, l’objectivité, la démocratie, mettre la
cohésion du groupe et son intérêt au-dessus des tentations individualistes. La
force d’un groupe c’est tout d’abord sa cohésion face à l’ennemi. Sa faiblesse
ne peut être que le résultat des dissensions internes, des dérives
individualistes.
–
Quatrièmement : être mobilisé quotidiennement pour se défendre contre les
abus de l’administration et pour élargir le champ des acquis. Mais attention,
les gardiens ne sont pas tous de mauvais matons. D’après l’expérience de 11 ans
et 13 jours de prison, l’ex petit berger classe les gardiens en 3 catégories :
celles des « affairistes », celle des sympathisants et celles des
fascistes.
Comme
dans toutes les prisons du monde, les « affairistes » peuvent vous
rendre n’importe quel « service » contre du fric. Ils sont les plus
nombreux.
Les
fascistes sont généralement peu nombreux mais redoutables. Ils sont
totalement déshumanisés et sans pitié aucune. Ce sont généralement des chiens
dressés à la « Pavlov ».
Dans
toute prison se trouvent des sympathisants des causes justes, des enfants du
peuple qui n’ont pas totalement renié leurs origines sociales.
Comment
« infiltrer » ce monde de matons ? Au sein du groupe de
« 1972 », des camarades « spécialisés » ont pu établir des
« relations d’affaires » avec des gardiens, avec des trafiquants
de « droit commun » (et ce malgré notre isolement). D’autres
militants avaient pu dénicher des sympathisants. Je reviendrai par la suite sur
le « réseau » de sympathisants démantelé en 1975.
Quant
aux fascistes, il n’y a pas d’autres moyens que l’engueulade, la pression à l’intérieur
et à l’extérieur de la prison. Il faut rendre la vie difficile au fasciste par
un harcèlement quotidien tout en évitant de provoquer la
« solidarité matonnière ». Le plus dur (à éviter) est de dresser
tous les gardiens contre vous. Au sein de tout groupe de prisonniers
politiques, vous pouvez trouver des gens qui ont divorcé avec leurs idées, qui
peuvent accepter de jouer « l’indic/mouchard » au profit de l’ennemi,
des individus qui enfreignent la « règle de conduite » établie par le
groupe. Le groupe de l’ex petit berger n’a jamais connu ce genre de dérive.
Vous pouvez trouver aussi des personnes qui n’ont aucune considération pour le
groupe ni pour l’intérêt général, des personnes qui jouent au
« trouble-fête », qui peuvent créer des incidents « gratuits »
qui engagent (par solidarité) tout le groupe dans une « guerre »
qu’il n’a pas choisie. Le groupe a toujours des priorités, une stratégie et des
tactiques pour les objectifs fixés. Comme dans la lutte des classes à l’échelle
du pays, la lutte à l’intérieur de la prison suppose une stratification des
priorités, des objectifs, une stratégie, des
tactiques,…
-
Cinquièmement : contribuer de l’intérieur de la prison au combat national
contre l’ennemi. C’est la tâche principale de tout groupe de prisonniers
politiques.
Cette
tâche nécessite toute « une logistique » : un tissu de réseaux
clandestins à l’intérieur de la prison, à l’extérieur, au sein des familles, au
sein des amis et sympathisants, à l’étranger, sans parler du plus
important : le lien avec l’organisation (ou les organisations)
révolutionnaire(s).
C’est
dans ce cadre que le groupe décida en septembre 1972 de préparer une grève de
la faim, une grève essentiellement politique.
La
préparation a pris plus de deux mois. Pourquoi tout ce temps-là ? Il
fallait :
-
Fixer les objectifs qui étaient de deux types : les objectifs politiques
d’ordre général et les objectifs relatifs à la situation du groupe à
l’intérieur de la prison.
Il
fallait faire connaitre le mouvement marxiste-léniniste marocain et ce au
niveau national et international, dévoiler le visage répressif du régime,
encourager la résistance populaire en général, le combat du mouvement marxiste
léniniste en particulier, arracher, en tant que prisonniers politiques, des
acquis à l’intérieur de la prison.
-
Se mettre d’accord sur les conditions de l’arrêt de la grève.
-
Constituer le « Comité de négociation » et le « Comité
médical ». Amine Abdelhamid représentait les militants d’ILAL AMAM et ses
sympathisants dans le premier Comité et le docteur Jamal Belakhdar dans le
deuxième.
-
Rédiger des communiqués et les faire sortir de la prison.
-
Etablir des contacts, des réseaux aussi bien au Maroc qu’à l’étranger.
-
Et enfin décider du moment opportun pour «lancer l’attaque ».
Le
groupe était scindé en deux, groupe d’ILAL AMAM et sympathisants et groupe
LINAKHDOUM ACCHAÂB plus Anis Balafrej et ses trois jeunes camarades.
Donc
il fallait discuter au sein de chaque groupe puis discuter groupe à groupe, et
ce n’était pas chose aisée.
Un
matin de la mi-novembre 1972 (je ne me rappelle pas le jour exact), à
l’ouverture des cellules, les militants sortirent tout ce qu’ils avaient comme
provisions, sauf toutefois le sucre et l’eau, remirent au chef du quartier la
lettre relative à la grève de la faim. Les matons furent ébahis. C’était la
première grève de la faim collective au Maroc. Du jamais vu, du jamais entendu.
Riposte
immédiate de l’administration : fouille minutieuse, isolement du groupe.
Au
Moyen orient, notamment au Liban et dans les camps de refugiés palestiniens, en
France, au Maroc bien sûr,… les familles des prisonniers politiques, les
camarades, les sympathisants, les progressistes, les démocrates entrèrent en
action.
Au
Maroc, la jeunesse universitaire, les lycéens, des artistes, des avocats, des
démocrates se mobilisèrent. Hassan II ne s’attendait pas à cela. L’événement a
été soigneusement bien préparé grâce à certains militants qui avaient la
responsabilité de la « logistique communicative » et à des
familles tels Laâbi et Jocelyne, Amine et sa famille (plusieurs
« relais »), Assidon et sa famille et amiEs, Kamal Lahbib et Leila,…
l’organisation ILAL AMAM (à l’intérieur et à l’extérieur du Maroc), le Front
démocratique de la libération de la Palestine (FDLP),… des avocats tels que
Omar Benjelloune, Abderrahim Berrada, Idbelkacem, Abderrahim Jamaï, Ben Amre,…
La
grève de la faim est dure, très dure, surtout les premiers jours. Ce qu’il ne
faut pas oublier, c’est que la grève de la faim est une arme de lutte choisie
consciemment, avec conviction et ce dans des conditions particulières.
Le
groupe avait décidé d’éviter des pertes humaines. La grève entamée était une
grève politique. Il n’était pas question de perdre un camarade. Le groupe était
contre des suicides gratuits. Le mouvement communiste mondial était toujours
contre le suicide, contre des actes individuels tel le terrorisme.
Il
n’était pas question de demander la « libération », mais exiger un
procès public afin de s’exprimer, un procès qui ne pouvait être qu’inique dans
les conditions qui prévalaient au maroc qui vivait sous un régime tyrannique.
Le verdict, les condamnations, le nombre d’années de prison étaient choses
secondaires pour les militants. Le procès devait être une tribune pour dénoncer
le régime, une occasion pour parler de ses repères idéologiques, expliquer son
programme politique,…
Le
groupe s’était fixé un minima pour arrêter la grève de la faim. On savait
d’avance que l’Etat concèderait ce minima. Une fois le politique
(propagandiste) réalisé, la grève devrait cesser. Le Comité de dialogue était
mandaté pour cela.
Après
32 jours de grève, les négociateurs arrachèrent le minima fixé d’avance et même
un peu plus. Les prisonniers politiques marxistes-léninistes arrêtèrent leur
mouvement à la veille du 31 décembre 1972.
Ils
allaient passer un mois (de convalescence) dans un hôpital de Casablanca, un
mois de « récréation ». Les militants engagés (sentimentalement)
retrouvèrent leurs « élues », les « libres », comme l’ex
berger, avaient l’occasion de « flirter »,... Les jolies filles aux
blouses blanches étaient généreuses avec cette « nouvelle race de
politiques ».
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