jeudi 21 janvier 2016

Ecrit relatif à la répression de janvier 1984

 la 28è partie :  Janvier 1984, nouvelle arrestation

Octobre, novembre et décembre 1983, furent des mois d’intenses activités. En plus de la préparation des cours, il fallait préparer le premier numéro du journal, participer aux activités de l’AMDH, intervenir dans les facultés… la résistance populaire reprenait de l’ampleur, le train de la lutte des classes n’attendait pas les trainards.
Face à la crise économique, au déficit budgétaire, à la crise de l’enseignement…l’Etat décida de supprimer certaines subventions en les remplaçant par des «bons» à distribuer aux pauvres…Ce fut « la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase ». Les pauvres et les étudiants descendirent dans la rue, surtout à Marrekech, Kasr kebir, Nador, Tétouan…et ce, à partir du lundi 16 janvier 1984. La direction nationale d’ILAL AMAM appela au soulèvement général contre la tyrannie de Hassan II.
  Le régime n’hésita pas à utiliser les grands moyens : chars, hélicoptères…les innocents tombent par centaines sous les balles des forces de répression. La ville de Casablanca où se tenait le sommet de la «l’Organisation de la conférence islamique» (aujourd’hui : l’Organisation de la coopération islamique), fut bouclée et quadrillée par les diverses forces de répression.
A partir du jeudi 19 janvier 1984, le soulèvement prenait de l’ampleur, gagnait d’autres régions. Et à partir du vendredi 20 janvier, des tracts d’origines diverses appelaient le peuple marocain à entamer une grève générale à partir du lundi 23 janvier 1984. La baraque du makhzen prenait du feu.
Le dimanche soir du 22 janvier, Hassan II s’adressa à «la nation», il s’en prit à ILAL AMAM, aux islamistes, aux étudiants, aux élèves, traitant les bourgeois de froussards, insultant dans un langage vulgaire les masses populaires, menaça les rifains, tout en leur rappelant les massacres de 1958/59 qu’il avait commandés lui-même…
Les masses populaires furent traitées d’awbach (les déchets de la société). Malgré la terreur, malgré son langage de guerre, Hassan II annonça la suppression des mesures préconisées quant à la caisse de compensation. On  voyait qu’il avait peur. Il devrait lâcher du leste.
A part ILAL AMAM, aucune autre force politique, n’avait osé prendre position pour le soulèvement populaire.
 Après avoir écouté le discours télévisé du tyran, l’ex petit berger dit à sa compagne : je dois me préparer pour la prison. On brûla à la hâte ce qu’il fallait brûler. La nuit se passa bien. Le lundi 23 janvier 1984, le  frais professeur, avec sa blouse blanche, assistait normalement à la prestation d’une stagiaire, quand un chaouch, tout blême, arriva dans la salle et lui dit que le directeur voudrait le voir. Le nouveau prof, savait ce qui l’attendait. Il ramassa ses affaires, mit la blouse sur le cartable déposa le tout sur le bureau et quitta la salle. Dans le couloir, l’attendaient des policiers en civil. Il fut ainsi embarqué et emmené au commissariat central de Rabat et ce, sans formalité juridique aucune. L’arbitraire le plus abject. La répression au Maroc n’a jamais besoin de formalités juridiques : le procureur et le juge ne sont là que pour dire « amen » aux décisions du policier. Ils restent de simples figurants dans des scénarios/films d’horreur.
 A l’arrivée, on le fit normalement attendre dans un bureau. Après une demi-heure, il fut introduit dans un spacieux et luxueux bureau où l’attendaient autour d’une grande table 7 ou 8 personnes. Il fut invité à s’assoir. Pas de menotte, pas de bandeau noir.
C’était la séance de « discussion ». Les divers services voulaient « comprendre ». Le policier de mai 1983 était là. L’animosité se lisait sur son visage.
Je résume ici le contenu de la discussion/interrogatoire.
- Police : que pensez-vous de l’invasion d’Afghanistan par l’Union soviétique ? (Cela parait bizarre mais c’était la première question).
– Interpellé : Je suis contre l’invasion soviétique, mais pour moi, le véritable problème c’est l’intervention de l’impérialisme, du pakistan et des pays arabes pour soutenir et armer la contre-révolution dirigée par les grands propriétaires terriens afghans qui sont contre la révolution agraire.
– La police : quelle est votre position concernant le Sahara marocain ?
– L’interpelé : Pour moi, le problème est dépassé puisque Hassan II a déclaré à Naïrobi  que le Maroc accepte le référendum d’autodétermination.
– Police : pourquoi vous n’avez pas rejoint un des syndicats existants ?
– Interpellé : avant mon arrestation en juin 1972, j’étais à l’UMT. Il était pratiquement le seul syndicat existant. Dix ans après, à ma sortie de prison, je me retrouve avec plusieurs syndicats. Pour le moment je garde mon indépendance.
– Police : vous êtes un communiste convaincu. Pourquoi ne pas rejoindre le parti d’Ali Yata, qui est le parti communiste marocain.
 – Interpellé : j’avais quitté en 1970 ce parti par ce qu’il n’est pas communiste.
– La police : vous parlez souvent de Tazmamart. Vous êtes certainement la personne qui a communiqué à la presse étrangère des lettres sorties de ce bagne.
Interpellé : certainement pas. Je n’aurais pas parlé publiquement de ce bagne si je suis l’auteur des «fuites.». Ils n’insistaient pas.
Tout se passa « normalement », c'est-à-dire, sans injures, sans menaces, à part le fameux policier, qui dit : vous voyez qu’il parle du roi sans dire  sa majesté le roi.
Aucune question sur la nature du régime, ni sur les événements qui secouaient le pays en ce janvier 1984.
Ils étaient « courtois ». Le but était de comprendre et non d’extorquer des « informations » par la torture et par d’autres moyens peu « catholiques », ou simplement de vous tabasser pour le plaisir de vous tabasser.
De cette « calme discussion », l’ex petit berger conclut qu’en une dizaine d’années, la tyrannie a pu former quand-même des policiers « intellectuels ». Des jeunes flics recrutés certainement dans les milieux « militants » estudiantins et bien entraînés par les polices américaines et françaises.
On fit sortir du bureau interpellé. Dans le couloir, le ton changea. D’autres individus, dont des gorilles prêts à vous sauter sur la gorge, firent descendre interpellé à la cave. On lui enleva la montre, les quelques sous qu’il avait dans sa poche, des papiers…les nuages sombres, accompagnés d’éclairs et de tonnerre se profilaient à l’horizon. Il fut remis à d’autres individus. La division du travail oblige !
Il fut jeté dans une chambrée puante, suffocante, ou des dizaines de personnes étaient entassées. Des drogués, des ivrognes, des pickpockets, mais aussi plusieurs «politiques».
 Il trouva devant lui le docteur Jamal Belakhdar, l’un des fondateurs d’ILAL AMA, les professeurs universitaires Abdeljali Nadem, Saïd Benjelloune, ex détenus qui avaient «abandonné la politique» depuis des années…
 Après les salutations, il leurs dit : «c’est une occasion de nous revoir ».
     Hassan II avait prononcé son discours télévisé vers 20h du dimanche 22 janvier 1984, quelques minutes après débuta l’opération généralisée des rafles à l’aveuglette et des arrestations politiquement ciblées.
 La répression politico-sociale se mélangea au racket. Hassan II avait parlé des élèves, des mineurs. Il annonça qu’il n’était plus question de faire la différence entre les grands et les petits. Ce fut une aubaine pour les ripoux. La police embarquait dans des estafettes, dans des fourgons des centaines, des milliers de collégiens, de lycéens, des innocents mineurs, pour les relâcher contre des sommes d’argent. La rançon variait autour de 1 000 dh. Le marchandage se faisait dans la rue, au commissariat...Les ripoux extorquaient l’argent sans scrupule aucun.  Les enfants dont les parents ne pouvaient pas payé se retrouvaient dans des cellules insalubres.
Le commissariat du quartier de l’Océan avait battu le record de l’arbitraire de la répression et de l’extorsion de fonds. Le patron, un certain Alaoui, aurait été blessé à la tête par un jet de pierres. Ce qui l’avait rendu fou furieux.
  Les commissariats de Rabat et de Salé étaient pleins à craquer. La police « politique » avait remis sur table les listes «noires». Il fallait embarquer tout ce monde là et ce, sans motif aucun.
  Au commissariat de Rabat, les victimes furent réparties dans les différentes cellules. La gigantesque chambrée, « la salle de réception », ne pouvait contenir ces centaines de détenus. A l’extérieur, les voleurs, les agresseurs, les violeurs, les ripoux étaient aux anges. Personne ne les inquiétait.  Hassan II n’avait parlé que des « agitateurs et autres fauteurs de troubles » politiques. La chasse à l’opposant était l’unique tâche des services de l’Etat.
 L’ex petit berger se retrouva entassé avec une vingtaine de détenus dans une cellule faite normalement pour 5 personnes. Les victimes s’arrangeaient pour que la moitié s’accroupît et l’autre restât debout, et cela à tour de rôle. Le trou/wc ne se voyait pas. Affamés, assoiffés, lassés, les détenus avaient « oublié » les besoins naturels. Les détenus avaient vécu 13 jours dans cet enfer.
 L’ex berger, menotté, yeux bandés, avaient droit à plusieurs séances d’interrogatoire. Les questions tournaient autour d’ILAL AMAM, structures, positions…autour des soulèvements populaires…Il adopta la même tactique qu’en 1972. Il «se chargea, s’enfoncer», pour montrer qu’il n’avait pas peur (je suis républicain, communiste…), mais aucun, vraiment aucun mot qui pourrait nuire à l’organisation ou à un camarade.
 Il fallait passer à la torture physique. Abdelilah Benabdeslam et l’ex petit berger furent emmenés dans le «laboratoire de torture», le lieu de l’extorsion des «aveux». On enleva le bandeau à l’ex bédouin, pour mieux voir son ami souffrir, car c’est par Abdelilah que les tortionnaires allaient commencer. Une fois l’opération entamée, ce dernier tomba raide. Il fut victime d’une crise cardiaque. Les flics furent surpris,
On le fit descendre du « perchoir ». Un flic toubib, jugea la situation critique. Dans ce grand brouhaha, des flics redescendirent l’ex petit berger, qui échappa ainsi à la séance de torture. Abdelilah fut relâché. La police avait voulu éviter le scandale d’un assassinat.
   Mohamed Sebbar avait connu un véritable enfer. Il a été torturé plusieurs fois à Rabat, puis à Tétouen… C’est le détenu qui avait été le plus torturé.
Malgré ces conditions inhumaines, les détenus rigolaient. Ils trouvaient toujours des « occupations » pour s’oublier dans ce monde de misère humaine. Il faut reconnaître que Sebbar a une grande capacité de créativité humoristique.
 Pour les personnes qui n’ont pas vécu directement ces événements sanglants, ou qui se sont limité aux versions officielles, je reproduis ici une partie d’un article émouvant publié par la revue hebdomadaire TELQUEL, il y a de cela quelques années. Je rappelle aussi que l’Etat marocain a fait « découvrir » à son appendice, l’IER, un seul charnier  (à Nador) contenant  une vingtaine de dépouilles, alors qu’il s’agit de centaines de tués. L’Etat a fait de même avec les massacres de juin 1981 (Casablanca), et de décembre 1990 (Fès).
 Extrait de « sebtamlilya.net » :
« Dans son discours au lendemain des événements, Hassan II qualifiera les émeutiers de "awbach", littéralement "déchets de la société". (AFP)
Il y a 23 ans, dans la ville de Nador, de simples protestations estudiantines se terminaient dans un bain de sang. Retour sur ce fameux 19 janvier 1984 qui, jusqu'à aujourd'hui, n'a pas livré tous ses secrets.
…………….
Pour les habitants de Nador, janvier n'est pas un mois comme les autres. Et pour cause, il évoque pour beaucoup d'entre eux de bien tristes souvenirs. "La douleur est chaque année au rendez-vous. Ces évènements tragiques nous ont marqués à vie", souligne, ému, ce chauffeur de taxi, qui a perdu un membre de sa famille dans les manifestations du 19 janvier 1984.        
 …………
Lors de son discours télévisé du 22 janvier 1984, dans lequel il qualifie les émeutiers de "awbach" (littéralement "déchets de la société"), Hassan II présente les événements non pas comme des manifestations populaires, mais comme "des manœuvres de déstabilisation", visant à perturber la 4ème conférence au sommet des pays islamiques, qui se tenait la même semaine à Casablanca. Et parmi les coupables, le défunt souverain pointait du doigt les marxistes léninistes, "les services secrets sionistes" et… l'Iran. Ce dernier enfonce même le clou en menaçant les habitants de la région : "Vous avez connu le prince héritier (en référence aux événements de 1958-59 durant lesquels Moulay El Hassan avait violemment réprimé le soulèvement rifain), je ne vous conseille pas de faire connaissance avec Hassan II".

Tirs à balles réelles
Les manifestants, déboulant des quatre coins de la ville, convergent vers l'avenue des Forces armées royales, artère principale de la ville. Et de débordement en débordement, les rassemblements se transforment en émeute et les manifestants cassent tout sur leur passage. Véhicules calcinés, commerces brûlés, écoles saccagées, vitres cassées… C'est le chaos qui s'installe en ville. Plus tard dans la journée, un communiqué du premier ministre de l'époque, Mohammed Karim El Amrani, fera état de 7 voitures, un car de police et 11 commerces brûlés, 20 voitures et 6 écoles endommagées…

L'intervention des forces de l'ordre ne se fera pas attendre. Dépassées par les événements et en sous-effectifs (le plus gros des troupes étant alors à Casablanca, pour assurer la sécurité du sommet de l'OCI), les forces déployées paniquent et arrosent la foule de balles réelles. Certains parlent même d'un hélicoptère, usant d'une mitrailleuse lourde à l'aveuglette pour disperser les manifestants. Un témoignage confirmé par le journal espagnol, El Telegrama de Melilla, qui avait publié, dans son édition du 24 janvier, la photo d'un hélicoptère tirant sur des manifestants.

Beaucoup de Nadoris, très jeunes pour la plupart, tombent sous les balles ce jour-là. C'est le cas de Zouhaïr, 14 ans, sorti "jouer aux billes" avec son cousin, et qui reçoit un projectile en pleine tête. Ou cette petite fille de dix ans assommée d'un coup de crosse, qui ne s'en relèvera jamais, étant depuis clouée dans un fauteuil roulant.

Officiellement, il y eut, en tout et pour tout, 16 morts, 37 blessés (dont 5 parmi les membres des forces de l'ordre). "Ces chiffres sont ridicules, démentent de témoins de l'époque. Il y a eu beaucoup plus de morts que ce que les autorités prétendent". Le témoignage de Lahcen Ouchlikh est éloquent à ce sujet. Blessé durant l'émeute, ce dernier reprend connaissance in extremis dans ce qui s'apparente à une fosse commune, creusée à la hâte près de la caserne militaire de Taouima, dans la banlieue de la ville. Autour de lui, il jure avoir aperçu entre 70 et 80 cadavres. Un ancien policier de l'époque parle également de quelque 84 morts. Combien de victimes exactement ont fait les émeutes de Nador ? Difficile à dire. Les corps des manifestants tombés sous les balles ont été rapidement entassés dans des camions, pour être enterrés dans ladite fosse commune. Quant à ceux qui sont décédés dans les hôpitaux, il n'y a plus aucun moyen de les comptabiliser : les archives de cette année-là ont tout bonnement disparu. Et les familles des disparus dans tout ça ? Pourquoi ne se manifestent-elles pas pour réclamer leurs morts ? "Il faut savoir que beaucoup d'entre elles ont préféré quitter la ville, voire le pays, le lendemain des événements, explique Chakib El Khyari. Et celles qui sont restées ont tout simplement eu peur de le faire". Et quand bien même les familles auraient réclamé réparation, elles n'avaient aucun moyen de prouver que leurs proches étaient bien morts lors des émeutes. Et pour cause : les autorités avaient pris le soin de postdater les décès des victimes sur les livrets de famille.

Arrestations massives
Quant à ceux qui sont sortis indemnes de cette journée, ils n'imaginaient pas le calvaire qui les attendait. Dès le lendemain des émeutes, les renforts arrivent en masse dans la ville de Nador, essentiellement de la caserne militaire de Guercif. Une large campagne d'arrestations est alors entamée. Ils sont, d'après les estimations des ONG locales, près de 500 personnes à avoir été "arrêtées". Beaucoup d'entre elles n'avaient même pas participé aux manifestations. C'est le cas de Benaïssa Belghiane, arrêté le 20 janvier 1984, alors qu'il n'avait pas quitté son lieu de travail la veille. Comme beaucoup d'autres, il a droit à deux semaines de séjour dans le sous-sol du commissariat central de Nador, subissant différentes formes de torture, avant de se voir condamner à 10 ans de prison ferme. Son beau-frère, de passage au Maroc, a beaucoup moins de chance. Une balle tirée par les militaires mit fin à sa vie. L'arbitraire a également frappé Mohamed El Ouard, qui se trouvait également sur son lieu de travail le jour des émeutes. Il est arrêté quelques jours plus tard. Verdict : 10 ans de prison ferme. Pour l'anecdote, l'un des accusés aurait même avoué au juge qu'il était en train de cambrioler un magasin à Melilia. En vain. Il a écopé lui aussi des 10 ans "réglementaires".

Pour un avocat de la ville, qui a défendu certains des inculpés, les procès n'étaient qu'une formalité. Sous le sceau de l'anonymat, il assure que "les jugements étaient orientés et les verdicts connus d'avance. Le gouverneur de l'époque s'était pratiquement installé dans le bureau du président du tribunal". En clair, les autorités locales avaient besoin de boucs émissaires, de "victimes expiatoires". "Hassan II était furieux que cela arrive en plein sommet de l'OCI, alors que les regards du monde entier étaient tournés en direction du Maroc, analyse un activiste associatif de la ville. Certains noms étaient donnés dans le cadre de simples règlements de compte. Sinon, ils étaient cités par des gamins qui, à force d'être torturés, donnaient les noms qui leur passaient par la tête".

Par ailleurs, de nombreux témoins avancent que certains membres des forces de l'ordre ont en même profité pour se remplir les poches. "Ils se présentaient chez les familles riches de la ville et les menaçaient d'arrêter leurs enfants, si elles ne leur remettaient pas des sommes pouvant grimper jusqu'à 50 000 DH", affirme un commerçant local. D'autres racontent même que l'armée aurait pillé les souks de la ville, emportant essentiellement le matériel électroménager et autres produits électriques. Visiblement, le malheur des uns a fait le bonheur des autres. » 
   TELQUEL



29ème partie : «re-bonjour» prison !
Après 13 jours de calvaire cauchemardesque, 13 jours non mentionnés dans les PV de police et donc non comptabilisés dans les peines à passer en prison, les dizaines « élus » de la police furent présentés au procureur du roi. L’ex petit berger fut introduit dans le bureau du procureur (l’enfonceur selon le jargon populaire المغرق). Il est accusé, entre autre, d’avoir dirigé une cellule d’ILAL AMAM, composée de Jamal Belakhdar, de Omar Zaïdi, d’un ingénieur, d’une femme médecin…la dite cellule aurait organisé des manifestations, attaqué un train, distribué des tractes…L’ex berger ne crut pas ses oreilles. C’est du pur Kafka. Omar Zaïdi n’était jamais militant d’ILAL AMAM, Belakhdar avait divorcé avec ILAL AMAM depuis plus 12 ans, l’ingénieur, la femme médecin étaient simplement des inconnus pour l’ex petit berger…les faits mentionnés dans le PV n’étaient pas véridiques…Il protesta, et déclara qu’il n’a jamais signé de PV de la police.
 Les détenus arrivèrent la nuit tombée à la prison Laâlou de Rabat. L’ex berger se retrouva avec 125 (!!!!) autres victimes dans une chambrée. Malgré que la cellule soit spacieuse, normalement elle est faite pour 30 ou au maximum pour 40 détenus, elle a reçu en son sein ce soir du 5 février (si je ne me trompe pas d’une journée) 126 détenus.
Il est impossible de dormir dans ces lamentables conditions : la puanteur, les poux, les cafards, les punaises, le manque d’espace où s’allonger... Sebbar, Zaïdi, Abdelkhalek Benzekri, Sbaï,…ont su « meubler » la nuit, en racontant des blagues, chanter Marcel Khalifa, cheikh Imam, Saïd Al Maghribi…L’ex bédouin, terrassé par la fatigue, ne sentait ni la faim, ni la soif, ni la déprime…
Le lendemain, les nouveaux arrivés refusèrent de regagner«leur» chambrée. Premier accrochage avec l’administration de la prison. Le quartier moderne, composé essentiellement de cellules individuelle ou de cellules faites pour 2 ou 3 personnes, étaient accordées en location aux gros trafiquants, aux fonctionnaires impliqués dans des détournements de fonds, aux riches. Dans ce quartier se trouvaient aussi le grand militant Abderrahmane Ben Amre et ses camarades jetés arbitrairement en prison suite à leurs démêlés politiques avec le bureau politique de l’USFP, Ce dernier avait fait appel à la police pour les coffrer. Dans ce quartier se trouvait aussi Cheikh Abdeslam Yassine et ce, suite à ses démêlés politiques avec le régime.
L’administration vida la plus grande partie du quartier « 5 étoiles », en installant les anciens locataires à l’infirmerie…L’ex berger et une dizaine d’autre victimes décidèrent d’occuper la plus grande cellule du quartier : la fameuse cellule 13. Pourquoi ? Pour discuter, blaguer, chanter : on y trouvait Abdelkhalek Benzekri, Mohmmed Sebbar, Omar Zaïdi, Ali Fkir…
L’ex berger a eu l’occasion de faire la connaissance d’inoubliables militants, surtout des jeunes. Ils sont des dizaines pour les citer un à un. Ils étaient tous formidables.
  Les militantes ont été placées dans le quartier des femmes. Elles étaient extraordinaires, aussi bien au commissariat qu’en prison. Et ce malgré les conditions lamentables où elles se trouvaient. La majorité était des enseignantes stagiaires à l’ENS. En 2012, 28 ans après, je ne peux que féliciter des militantes qui sont là toujours, le drapeau de la résistance à la main, drapeau bien  brandi, telle l’infatigable Zaïna Oubihi, cadre de l’AMDH, d’ATTAC-Maroc, du mouvement syndical démocratique et progressiste…Cette militante dévouée aux causes justes, honnête et conséquente dans ses engagement, démocratique dans ses relations avec les autres…mérite toutes nos considérations.
  Il y avait des dizaines de militants «alqaïdyines » (basistes) : de l’institut agronomique, de la faculté des sciences, de la faculté de droit, de l’ENS, de la faculté de médecine…En frappant fort dans les milieux d’étudiants progressistes, Driss Basri avait ouvert à la mouvante islamiste toutes béantes les portes de l’université. Comme il avait encouragé par la suite cette même mouvante à envahir les plages, à ouvrir des camps de formation de véritables escadrons de la mort.
  A Rabat, et comme tous les procès politiques qui se déroulent au Maroc, le procès des dizaines militants et militantes, arbitrairement arrêtés en janvier 1984, a eu lieu en mars-avril 1984. C’était une véritable parodie, une mise en scène, où il y avait tout sauf la justice, la vérité et le sérieux.
Les individus qui étaient en face des victimes, des avocats, et des familles, étaient de véritable marionnette dont les ficelles étaient tirées par la police. C’étaient de simples apprentis- acteurs qui agissaient selon les instructeurs des souffleurs bien placés derrière le rideau du théâtre.
  C’était vraiment un moment de détente, du moins pour l’ex petit berger. Il avait beaucoup ri. Il faut reconnaître que les étudiants ont su dénuder cette comédie. A la barre, un étudiant parlait (avec ironie) d’Ismaïl : je suis sorti d’ismaïl, revenu à ismaïl…il refusait de prononcer le mot Moulay, car il s’agissait du camp Moulay Ismaïl. Les « magistrats » suffoquaient de rages. Un autre, fixa son regarde sur le procureur (celui-ci a eu vraiment peur), puis lui dit : tu es insupportable, espèce de malpropre. Suite à un plaidoirie d’un avocat « islamiste » où il avait récité un verset de coran où il est dit entre autre, que si on lit le coran sur une montagne, elle va bouger malgré elle…un troisième étudiant se tournant vers le même avocat lui dit : vous pouvez passer votre temps à réciter les versets de coran, les sentences fixées par la polices ne vont pas changer d’un iota…
  Les peines étaient «relativement» clémentes en comparaison avec les lourdes peines prononcées dans les villes du Nord, à Marrakech et même à Casablanca. Elles varièrent entre le non-lieu et une année de prison ferme, à l’exception toutefois d’une peine de deux ans infligée au militant Driss Anaânaâ pour avoir dessiné une carte où fut tracée la frontière qui sépare le Maroc du Sahara occidental. Une année de plus pour quelques pointillés. L’ex petit berger, tête de liste des accusés, a écopé d’une année de prison ferme. Ainsi après 18 mois de « liberté », il se retrouva en prison avec de dizaines de militants, d’horizons politiques différents, et dont la majorité faisait partie de la deuxième génération des marxistes léninistes.
  Faire de la prison, ce n’est pas chose simple. Vous êtes condamnés à vivre dans un réduit, dans la saleté, à voir de près la misère humaine où vivent des centaines, sinon des milliers de prisonniers de «droit commun». La prison est faite pour les opposants au système dominant, aux porteurs d’idées neuves. Elle est faite pour les marginalisés, les exclus, pour les gens des bas-fonds de la société qui commettent des actes irréfléchis, des imprudences impardonnables qui leurs coûtent la pseudo-liberté dont ils jouissaient. Mais dans les prisons vous trouvez aussi, et ils sont nombreuses, des victimes de l’arbitraire, des victimes de règlements de comptes policiers, des innocents. Pour ne pas aller en prison, il suffit de baisser la tête (pour ne pas dire la culotte), d’obéir en «bon citoyen», d’applaudir ceux qui vous gouvernent, il suffit d’avoir du pognon et ce, quelque soit son origine. La prison est faite pour les pauvres et pour ceux qui refusent l’assujettissement.
Dans les prisons du Maroc naissent des bébés, qui grandissent dans des conditions scandaleuses.
 La martyre Saïda Mnebhi, communiste d’ILAL AMAM, a écrit de prison en janvier 1977 :
Cette femme n’est pas seule
Elle est comme tant d’autres
Victime de l’exploitation
Du pouvoir des laquais
De New York et de Paris
Quand je l’ai vue
Son visage était calme
Un masque livide
Qui couve la terreur
Qui cache la douleur
Car l’homme qu’elle a aimé
Aujourd’hui l’a trahie
Il a prétexté l’adultère
Pour la jeter en prison
Et l’arracher à ses enfants
Le fer creuse son coeur
Si fort
Qu’elle a vomi du sang
Et elle est là
Gisante et souffrante
Réclamant justice à mille dieux
Mais les assassins veulent l’achever
Car elle est du peuple
Qui demain prendra l’arme
Pour la libérer.
 Se retrouver en prison n’est pas chose aisée, mais c’est un lourd tribut que tout militant est prêt à payer pour des causes justes.
 Lorsque l’ex petit berger a été condamné à dix ans, il n’avait pas de responsabilités familières. Sentimentalement il était aussi libre. Mais en 1984, il a laissé derrière lui sa compagne avec deux jumeaux qui avaient à peine 4 mois. La donne a changé. Avec le recul, il faut reconnaitre que les épouses, les mères, les sœurs et les amies sont celles qui vivent le clavaire de la répression dans tout ce qu’il a d’inhumain. La femme est classée «sexe faible», «diminuée d’intelligence» selon les islamistes, «sources de tous les malheurs» selon toutes religions monothéistes…ce ne sont là que des assertions mensongères, réfutables, irrationnelles et contre-nature.
Il suffit de se pencher sur l’expérience du mouvement des familles des prisonniers politiques au Maroc dont l’ossature est constituée par les femmes. Il suffit de lire «Si on me donne la parole» relatif à l’expérience de la bolivienne Domitila BARRIOS DE CHUNGARA, femme de mineur, femme au foyer avec plusieurs enfants à charges, et qui est devenue par la suite, et grâce au tourbillon de la lutte des classes, l’une des militantes les plus célèbres du monde. Lisons cet extrait d’un article Publié le  par Bernard (voir Comité Amérique Latine du Jura):
Le 12 mars, Domitila s’est éteinte à 74 ans, au bout d’une longue lutte contre le cancer. Les personnes intéressées par les pays « en développement » ont sans doute lu son livre-témoignage paru en 1975 : « Si me permiten hablar » ( Si on me donne la parole).
Elle précisait : « Je ne veux en aucun cas écrire mon livre personnel. Je pense que ma vie est liée à celle du peuple. Je veux parler de mon peuple. Je veux laisser un témoignage de toute l’expérience que nous avons acquise à travers tant d’années de luttes en Bolivie, et apporter un grain de sable avec l’espoir que notre expérience serve à la nouvelle génération ».
Elle naquit en 1937 dans le département de Potosi. Elle était fille de paysans qui migrèrent à la mine pour trouver du travail. Elle épousa un mineur et ils eurent 7 enfants. Dès 1963 elle participa activement au Comité des Femmes au Foyer. En 1975 elle participa à la Tribune de l’Année Internationale de la Femme que les Nations Unies avaient organisée au Mexique. « Ses interventions produisirent un profond impact  sur les personnes présentes : c’était dû, en grande partie, à ce que Domitila vivait par elle-même ce dont les autres parlaient »
Militante infatigable, en 1978 elle lança avec quatre autres femmes une grève de la faim pour exiger la libération des dirigeants mineurs emprisonnés. A  cette grève se joignirent deux prêtres jésuites, Luis Espinal -assassiné en 1980 par le régime du général Luis García Meza- et Xavier Albó, ainsi que de nombreux syndicalistes, étudiants et militants politiques et sociaux. L’initiative fut l’un des facteurs déterminants du départ du dictateur Hugo Banzer après 7 ans de pouvoir.
En 1990 elle fonde l’Ecole Mobile de Formation Politique « pour transmettre cette histoire qui n’est pas écrite et qui relate les luttes populaires et syndicales du peuple bolivien ». Ses élèves sont parfois des étudiants, ou des paysans, des clubs de mères, des syndicalistes.  « Dans  ma maison nous avons un petit espace où nous faisons des ateliers, des interviews, mais nous allons vers ceux qui nous appellent.Tout ce que nous demandons c’est qu’ils nous paient le transport et la nourriture. En 2008 nous avons vécu une expérience émouvante dans une petite école rurale : les enfants avaient réuni, centavito par centavito (sou par sou) la somme pour payer notre voyage ! »
L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano écrit :
« Je me souviens d’une assemblée ouvrière, il y a bien longtemps, une trentaine d’années. Une femme se leva, au milieu des hommes, et demanda quel était notre ennemi principal. Des voix s’élevèrent pour répondre : « L’impérialisme », « l’oligarchie », la bureaucratie »… Et elle, Domitila Chungara, déclara : « Non, compañeros. Notre ennemi principal c’est la peur, et nous la portons en nous ». J’ai eu la chance de l’entendre. Et je n’ai jamais oublié….
Cette «femme du peuple», cette grande militante «forgée» dans le brasier de la lutte des classes, avait déclaré «Mon peuple m'a donné ma force. Il ne cède jamais»
Il suffit aussi de relire les écrits de la martyre Saïda Mnebhi, marxiste léniniste marocaine pour avoir une idée de la fidélité, de dévouement des femmes aux causes nobles qu’elles épousent, et surtout de leur courage en tant que « sexe faible» par rapport  à la frousse de certaines (je dis bien certaines) masses musculaires dites «sexe fort».
Zhor et d’autres dizaines de membres des familles (dont la majorité écrasante était constituée de femmes), se présentaient tôt le matin devant le commissariat. Après des heures et des heures d’attente, d’abord on leur dit que les leurs ne se trouvaient pas là, avant d’admettre le contraire. Les paniers n’arrivaient jamais aux destinataires.
Une fois les détenus en prison, il fallait que les familles allassent chercher au tribunal une autorisation spéciale pour pouvoir les voir. De longues queues devant le portail de la prison et ce, pour une visite d’un quart d’heure dans conditions indescriptibles. Je n’ose même parler de brimades et d’agressions verbales dégradantes propres au langage makhzenien. Heureusement que la plupart de ces femmes étaient de véritables tigresses, toujours prêtes à sortir leurs griffes face aux malpropres et autres prédateurs.
 Les familles des prisonniers politiques marxistes léninistes avaient occupé le local de la représentation de l’ONU à Rabat, puis le ministère de la justice…manifesté dans les rues, devant les prisons, devant les commissariat… la résistance des familles des détenus politiques marocains est une véritable épopée que l’Histoire officielle taira, que les scribouilleurs de l’Histoire «non officielle» essayeront de minimiser, sinon ignorer. La myopie de classe sociale oblige !
Zhor a eu la chance d’avoir avec elle une cousine venue des montagnes de l’Atlas pour l’épauler côté maison, le soutien effectif d’une de ses sœurs, et aussi la chance de bénéficier de la solidarité agissante, des amies telle que Samira Kinani. Pour résumer je dis simplement que Samira était et est toujours extraordinaire ! Les camarades d’ILAL AMAM étaient là aussi.
A suivre  
12 mois 13 jours d’emprisonnement :
Quelle riche expérience !
Au cours de cette détention arbitraire, et malgré ses difficiles conditions, l’ex berger a pu se rattraper en informations relatives à la réalité politique du pays. C’était très enrichissant. Je me limite à citer certains faits.
 – La rencontre avec des cadres de la gauche de l’USFP, ceux qui allaient par la suite constituer le PADS, lui a permis de mieux cerner les luttes de classes qui secouaient le plus grand parti de l’opposition et l’implication directe du palais dans ces luttes. L’Etat n’a pas hésité à intervenir directement le 8 mai 1 983 pour arrêter les militants dévoués aux causes des masses populaires, épaulant ainsi le bureau politique composé essentiellement des représentants des couches sociales dont les intérêts fondamentaux sont liés aux intérêts des classes réactionnaires dominantes.
  Le communiste a longuement discuté avec le grand militant Ben Amre, aujourd’hui (2012) leader du PADS. Il a trouvé en lui un militant progressiste, anti makhzenien convaincu, un dévoué aux causes des humbles. Un militant honnête et modeste. La gauche marocain a besoin de ce type de militants.
 – Le communiste a eu des discussions avec Cheikh Yassine, aujourd’hui leader d’Al Adl Oua Al Ihsane. C’est un grand homme, un grand intellectuel (il maîtrise aussi bien l’arabe que le français). Anti makhzenien convaincu. Leurs diagnostiques politiques de la situation étaient les mêmes. Ils étaient d’accord sur la nécessité de changement et sur l’impératif engagement actif. Le changement ne peut se faire de l’intérieur des institutions makhzeniennes.
Les divergences (divergences exprimées dans des formulations respectueuses), concernant l’alternative. Cheikh Yassine défendait des projets qui auraient existé dans le passé. Pour l’ex berger, historiquement, ces projets n’ont jamais existé, et de toute façon ils sont irréalisables dans la réalité actuelle de l’Humanité.
Ils avaient discuté philosophie. Cheikh Yassine n’a pas été choqué par l’approche matérialiste et dialectique de l’ex berger.
  Les autres tendances politiques, y compris les 5 jeunes islamistes arrêtés en janvier 1984, refusaient d’approcher le leader islamiste. Il vivait replié sur lui-même. Il occupait une cellule individuelle.
Pour les prisonniers politiques, et à part la grande porte du quartier, les portes des cellules restaient ouvertes. C’était un acquis arraché au prix de protestations et de sit in.
Un soir, et grâce à des « tuyaux » spéciaux, on apprit que Cheikh Yassine était dans la grande cour, refusant de regagner sa cellule. Le sang coulait de son nez. La majorité des prisonniers politiques refusèrent d’exprimer leur solidarité. L’ex berger fut scandalisé par cette attitude négativiste. Ali Fkir et Omar Zaïdi, ont pu tromper la vigilance du gardien et descendirent dans la cour. Cheikh Abdeslam Yassine, était assis, du sang coulait de son nez. On apprit de sa bouche qu’il a été agressé par le chef de détention (différent du directeur de la prison). L’ameute des gardiens, à leur tête l’agresseur, arriva. Echange de mots. Zaïdi et Fkir exigèrent du « chef » de présenter d’abord ses excuses à la victime, avant de parler d’autres choses. Le bourreau commença à se justifier, en terminant par la phrase suivante : celui-là et ses semblables sont prêts à vous égorger vous progressistes. Vous êtes leurs premiers ennemis. Fou de rage, fkir répondit : c’est un prisonnier politique comme nous. Nous sommes tous les victimes de la répression du makhzen. Zaïdi intervint dans le même sens. On prétendit qu’on était là au nom de tous les prisonniers politiques du quartier moderne. Ce qui était faux, mais il fallait bluffer.
 Après d’âpres discussions, de coups de fil…l’agresseur baisa la tête du Cheikh, lui présenta ses excuses, et lui demanda pardon.
Cheikh dit à haute voix : qu’Allah pardonne الله يسمح) ).  Merci les amis !
 Les deux marxistes léninistes accompagnèrent l’islamiste Cheikh Yassine jusqu’à sa cellule. On se souhaita une bonne nuit.
   L’ex berger a toujours essayé de ne pas oublier le principe de la stratification des contradictions. Dans tout conflit, il faut toujours déterminer la contradiction principale.
 – Il avait eu aussi d’occasion de faire connaissance de :
* Laâziz le leader actuel (2012) du CNI. Militant aimable, mais difficile à « déchiffrer» politiquement et idéologiquement.
*Mohamed Moujahid, ex patron du PSU, très sociable, aimable et honnête militant. Il représentait dans le temps la tendance «dure» des « Quaïdyines ». ILA AMAM et ses sympathisants dans le milieu estudiantin étaient pour lui  des  réformistes qu’il fallait critiquer.
* Mustapha Khalid, extraordinaire militant, humble, modeste. Il a été réélu par ses camarades membre du Comité national d’ANNAHJ ADDIMOCRATI lors du 3ème congrès tenu à Casablanca les 13,14 et 15 juillet 2012.
* Grine, membre du bureau politique (2012) du PPS. Connu pour sa discipline partisane. Il refusait d’assister à toute discussion qui remettait en question la tyrannie de Hassan II. Il avait déclaré qu’il tenait, tel son parti, aux valeurs sacrées du pays.
* Omar Zaïdi, ancien cadre de « Line nakhdoume achchaâb», actuellement (2012) il est l’un des dirigeant du parti des verts.
   *Sebbar Mohamed, secrétaire général aujourd’hui du CNDH (2012) et ex cadre du PADS, ex président du FMVJ…
 *Abdelkhalek Benzekri, ex membre du bureau exécutif de l’UNEM (15ème congrès)…, il est aujourd’hui (2012) l’un des infatigables et incontournables militants de l’AMDH.
* Abdelghani Raki, « quaïdi » dans le temps, aujourd’hui cadre du CNI et de la CDT.
 * Gmira, tendance « dure » des quaïdyines, aujourd’hui cadre du PSU.
 * Abderrahim Tafnaout, ex «quaïdi», le courant ne passait pas entre lui et la tendance « dure ». Ils se retrouvent aujourd’hui au sein du PSU pour un même idéal. Il faut reconnaitre qu’il est resté fidèle à lui-même. Ce sont les autres qui ont changé.
Je me limite à ces cas-là.
 En été 1984, des militants qui avaient essayé de reconstituer « 23 mars », avaient été enlevés, torturés dans les centres secrets de torture, et puis coffrés à la prison Laâlou de Rabat.L’ex berger retrouva son ami Abdelilah Benabsalem. En plus de ce dernier grand militant, de cet incontournable militant des droits humains, il y avait Abdelghani Qabbaj, aujourd’hui membre de la direction du PSU, de Boukarrou, Alami, El Fahli…C’était des militants extraordinaires, dévoués, honnêtes et modestes.
 L’été 1984, c’était aussi la grève héroïque de la faim, observée par des militants arrêtés en janvier 1984, essentiellement à Marrakech. Cette grève fut la plus longue de l’Histoire du Maroc. Les martyrs Boubker Douraïdi et Mustapha Belhouari y laissèrent leurs vies respectivement le 27 août (à Essaouira), et le 28 août (à Safi). Des mois après, Le martyr Abdelhak Chbaba allait perdre la vie dans les mêmes conditions à la prison Laâlou de Rabat.
En cet été aussi,  et sous la pression du mouvement des familles, de l’opinion publique nationale et internationale, et pour créer du cafouillage autour de la grève de la faim héroïque  des détenus de Marrakech, Hassan II a été acculé à libérer des dizaines et des dizaines de détenus politiques qui végétaient en prison depuis plusieurs années,  parmi eux se trouvaient les derniers détenus de 1972, ceux du procès de 1977…Toutefois , il n’était pas question pour le régime de relâcher une quarantaine de «têtes dures» d’ILAL AMAM. Il fallait attendre 1989 pour qu’il relâchât les autres à l’exception toutefois des « durs des durs » : Abraham Serfaty, Ahmed Aït Bennacer et Abdellah Elharif. Ahmed Rakiz, ex militant de 23 mars allait être gardé aussi en prison pour d’autres motifs. Il fallait attendre presque 3 années pour que le régime expulsât Serfaty prétextant qu’il n’est pas marocain ( ???!!!). Du pur Kafka ! et qu’i relâchât les autres.
 Cette nouvelle détention qui avait duré 12mois et 13 jours est une riche expérience pour l’ex petit berger. Il a pu vivre, discuter, débattre, et rigolé avec des dizaines de militants d’horizons politiques divers, de «générations» différentes. La cohabitation était caractérisée par le respect mutuel. AUCUN incident majeur. Les jours passés dans la cellule 13 resterons (positivement) inoubliables. Ce passage a pu effacer l’amertume laissée par les 33 mois (septembre 1979 au juin 1982) passés au quartier A de la prison de Kénitra.
 Le 5 février 1985, après 12 mois et 13 jours de détentions arbitraire, l’ex petit berger retrouva la rue, retrouva sa petite famille, ses camarades et ses amis. Ils étaient là nombreux à attendre ceux qui ont purgé leurs peines et à leurs têtes Zaïdi et Fkir. L’ex petit berger leva haut son poing gauche en signe de défi, en signe de résistance, en signe de fidélité à la cause pour laquelle se sont sacrifiés Zeroual, Saïda, Jbiha, Ben Berka, Cheikh Al Arab, Dahkoun , Grina, Douraïdi, Belhouari et tant d’autres. Ils sont des milliers à mourir sous la torture et à tomber sous les balles du régime.
   Le ministère de l’éducation nationale refusa de le reprendre, et refusa de le rayer de la fonction publique. Il se retrouva ainsi dans une situation qui ne peut être décrite que par Kafka. Pour travailler dans le privé, il fallait qu’il soit « répudié » par l’Etat. C’est comme le divorce et le «re-mariage » (pardon académie française !). Heureusement que Zhor avait pu réussir le concours d’entrer à la Faculté des sciences de l’éducation.
 L’ex petit berger n’avait comme possibilité que de bosser dans l’informel, en tant que «marchand» d’alphabets et de chiffres dans des instituts privés, rémunéré à l’heure effectuée. Il aura attendu plus de trois ans pour qu’il fût réintégré, et deux années pour qu’on le payât. Pendant ces deux années on lui disait que le roi avait ordonné de les réintégrer mais il n’avait pas demandé à ce qu’ils fussent payer !!! C’est de l’incroyable ! Ils étaient, se je me rappelle, bien 42 cas dans cette situation irrationnelle.
 En 1992, il rejoignit l’Ecole normale supérieure de l’enseignement technique, l’ENSET, pour contribuer à la formation des enseignants des matières d’économie et de gestion. Il allait assurer pendant une dizaine d’années la coordination de cette section.
 A la réception organisée à l’occasion de son «départ en retraite», l’ex petit a eu le plus beau cadeau de sa vie. VRAIMENT le plus beau! L’association des fonctionnaires de l’Ecole, les étudiants et les enseignants en plus, de beaux souvenirs, lui offrirent un grand tableau artistique représentant : LA FAUCILLE, LE MARTEAU et LE LIVRE, symbole du prolétaire, du paysan pauvre et de l’intellectuel révolutionnaire. Qui a eu l’idée ? l’ex petit berger l’ignore jusqu’aujourd’hui. Cela fut préparé dans le secret le plus absolu. Même Zhor  fut «prise au dépourvu». Quel est l’artiste qui avait confectionné ce tableau ?
Très ému, mais maître de lui, l’ex petit berger qui devint communiste, dit entre autres : «en tant que marxiste j’ai toujours essayé de faire mon travail consciencieusement, j’ai essayé de cultiver la tolérance, je n’ai jamais fait de différence en clase entre le barbu et le sans barbe, entre la voilée et la-sans- voile… , j’ai toujours demandé aux futurs professeurs, d’oublier leurs problèmes pendant les cours, mais de faire  le syndicalisme, la politique , de lutter pour leurs légitimes droits mais surtout, SURTOUT, pas au détriment des cours, au détriment  des enfants du peuple… ».
L’enseignant d’économie et de gestion avait comme credo : il n’y a pas de mauvais élèves, mais il y a des mauvais enseignants.  
Le retraité n’a jamais eu de problème particulier aussi bien avec ses élèves/étudiants qu’avec ses collègues et les gens de l’administration.
Il n’y a rien de bon et de beau que de travailler dans l’enseignement et dans la santé. C’est du moins la conviction de celui qui est né dans une minuscule tente dans les plateaux désertiques de Beni Tadjit, qui a grandi avec d’inoubliables animaux jusqu’à 11ans. Celui qui quitta en famille la vie pastorale pour s’installer au centre minier de Beni Tadjit. Son itinéraire a été décrit dans (ses grades lignes) dans cette modeste autobiographique écrite et ce, suite aux demandes répétées de mes très chers enfants. J’espère avoir le temps de revenir en détails sur l’après 1984.
Fin

Mohammedia le 12 août 2012