jeudi 2 mars 2017

Les militants ittihadis et marxistes léninistes même ennemi, même combat


22ème partie (extrait du liver "le petit berger qui devint communiste")
 Les militants ittihadis et marxistes léninistes
même ennemi, même combat

Le premier groupe de militants ittihadis qui rejoignirent  la dizaine de marxistes léninistes arriva de Fès. Il comprenait des militants originaires d’Aoufous (Errachidia), de la région d’Oujda, de Beni Mellal, d’Agadir…A part deux ou trois bacheliers, la majorité des autres n’écrivait pas et ne lisait pas. C’était essentiellement des travailleurs (paysan, petits commerçants et autres travailleurs…), parmi eux des personnes âgées tels « Da » Hmad de Ouaouizzaght, « Ammi » Lahcen. Des militants inoubliables.
C’était des militants extraordinaires. Ils s’étaient intégrés sans problème aucun au groupe des marxistes léninistes.
 L’ex petit berger doit souligner que tous les prisonniers avec qui il a eu l’honneur de « partager » les geôles du régime étaient animés par les grandes valeurs progressistes : la tolérance, le respect mutuel, la laïcité (ce qui est différent bien sûr de l’athéisme), la solidarité, l’antimonarchisme…Pas de drogue, pas d’homosexualité, pas de violence…
Parmi des cas « particuliers » :
- Lyazid. Natif du Sous ; Il avait rejoint les rangs du FLN algérien à la fin des années 50. Après l’indépendance de l’Algérie, il s’installa à Oran (si je ne me trompe pas). Il se maria, ouvrit une boutique. Vivait heureux tout en restant attaché à son pays natal le Maroc en rejoignant les ranges de l’UNFP. En 1974, il a été invité à un dîner organisé par des « militants » unfpéistes installés en Algérie. Après le dîner, Il « s’endormit » pour se réveiller le lendemain dans un centre de torture au Maroc.
– Lahcen Oulhaj, natif d’Aoufous, aujourd’hui (2012) doyen de la fac de droit de Rabat, avait échappé de justesse à la condamnation à Mort. Il a été accusé avec deux autres militants de son village,  d’avoir suivi en Libye un entraiment militaire pour contribuer activement à la lutte armée contre le régime marocain. Une fois sorti de la prison, il se consacre aux études et à la défense de la cause de Tamazight. C’est un grand intellectuel, un  économiste de référence.
– Le prolétaire BEN MOUSSA. Militant unfpéiste de première heure. Il a été arrêté alors qu’il travaillait dans les mines de charbon de Jerada. Il soufrait déjà de la silicose que les "houilleurs" attrapent facilement du fait de leur travail dans des galeries minières. Il étouffait en prison. Il a été délaissé cyniquement. A trois jours de son décès (je dis bien à TROIS jours). Hassan II lui « accorda la grâce » pour mourir à l’extérieur de la prison. C’était un militant prolétaire exceptionnel.
- « Da » Hmad, « Ammi » Lahcen…résistants de première heure contre le colonialisme français, ont souffert de la tyrannie de Hassan II. En réalité tout prisonnier a une histoire riche.
Quarante ans après 1973, des arrivistes de  dernière minute  profitent des « retombées » des sacrifices d’autrui, de la résistance du peuple marocain, pour « grimper l’échelle sociale » et ce, au nom du « patriotisme » pour les uns et au nom de l’islam pour d’autres.
Le groupe du « procès de Marrakech » (Ahmed Benjelloune, Lahbib Al Farkani…) était incarcérés au quartier G2. Nous étions séparés par une porte. La cour était « commune », mais tout contact était interdit. On se limitait à des échanges de mots écrits et ce par le truchement des canaux spéciaux.
   Ce groupe fut relâché par la suite, et à sa place, l’administration « plaça » des dizaines d’autres militants ittihadis, dont l’ossature était composée des militants de Khénifra et de Figuig.
L’ex petit berger et ses camarades du groupe marxiste léniniste (groupe de 1972), allaient vivre quelques années avec ces groupes de militants ittihadis, sans problème aucun. Même dans la vie quotidienne, les « contradictions » qui surgissaient (elles étaient minimes et d’ordre plutôt social), étaient horizontales et jamais verticales. Les problèmes politiques ? Religieux ? Ethniques (arabes, amazighs) ? Sociaux ? Intellectuels (instruits et analphabètes) ? JAMAIS. JAMAIS.
Le respect mutuel, la tolérance, la solidarité, la résistance, l’antimakhzen, la laïcité…étaient les grandes valeurs qui animaient tous les prisonniers politiques, marxistes léninistes et ittihadis.
 L’ex petit berger était aux « anges ». Il retrouva des anciens amis tels Ahmed Akaddaf (ex lauréat de l’INSEA), Kamar (ancien élève du Lycée Moulay Ismaïl à Meknès)…Il allait faire connaissance de plusieurs d’autres : paysans, nomades, ouvriers, artisans…
 Moins de 10 intellectuels. Des dizaines et des dizaines de militants « simples ». Les « intellectuels/politiciens », ont été acquittés par le « tribunal » et se sont retrouvés dans un camp d’internement, isolés du monde extérieur. Hassan II les utilisa comme moyen de chantage pour obtenir la reddition définitive de la direction de l’UNFP/USFP. Bouabid, Radi, El Yazghi et autres potentats du parti acceptèrent le « marché de dupe ». La direction accepta de bannir du rang du parti Fkih Mohamed  Basri et les autres symboles de la résistance armée, de renier les principes révolutionnaires préconisés par Mehdi Ben Barka, Cheikh El Arab, Dahkoune et tous les martyrs ittihadis, de défendre les grands choix du palais…
Les « politiciens/intellectuels » furent relâchés. Il n’était pas question de relâcher les « porteurs de sandales », les « gens des armes », les antimonarchiques.
 Les « politiciens » allaient préparer à leur guise le congrès extraordinaire et ce , en dehors de la participation des courants radicaux dont les symboles se trouvaient en prison et  en exil forcé. Le congrès a été tenu en janvier 1975, date de la création de l’USFP, date de divorce  avec « l’option révolutionnaire ». Des dizaines de militants allaient végéter dans les geôles du régime pendant des années après ce tournant historique. Après avoir été condamné par les « tribunaux » du régime, ils furent condamnés politiquement par leurs « camarades » de hier. Le martyr Omar Benjelloune qui était certainement de bonne fois, allait payer de sa vie l’erreur politique, l’erreur d’appréciation. Ceux qui croient que ce sont des islamistes qui l’ont tué en décembre 1975 se trompent. Il a été tué par les services occultes de l’Etat makhzenien. Les « dirigeants d l’USFP » le savent bien, comme ils savent que le grand Mehdi Ben Barka été enlevé sur ordre de Hassan II.
L’ex petit berger était conscient des enjeux de l’époque. Le mouvement marxiste léniniste a connu plus ou moins les mêmes déchirements. J’y reviendrai
 Il avait l’occasion de connaître de grands militants ittihadis tels : le cheminot Filahi, le prolétaire Sabri (mineur dans les mines de la région d’Ouarzazate) arrêté puis licencié abusivement en 1959/60, puis « retravailla » à Casablanca, Ikhich, ancien mineur, et ouvrier en Hollande (si je ne me trompe pas du pays), les nomades, paysans, des petits artisans, des commis, de Khénifra,  Figuig… des militaires tels l’inoubliable Ali Skounti de la région d’Errachidia,, Afoukouh, Amharche d’El Hajeb…Relisons ce que j’avais écrit en avril 2009 en revenant du Missour : «En traversant Elhajeb, je garde le silence, Mohammed (Mousaoui) me demande si j’étais fatigué, j’ai répondu qu’après le déjeuner, je ferme généralement les yeux pour quelques minutes. En réalité ce n’était pas une question de sommeil. Elhajeb, ce sont 3 souvenirs :
- On a partagé la prison avec l’adjudant Amharch, arrêté au lendemain des événements de mars 1973. Grand intellectuel, bon vivant, laïc. On se parlait en tamazight . Je n’oublierai jamais ce qu’il m’a raconté un jour : « Ali ce qui me fait souffrir le plus, ce qui m’empêche de dormir la nuit, c’est la blessure profonde inguérissable que je porte à l’intérieur. Dans les locaux de la gendarmerie, après des scènes de tortures indescriptibles, ils ont amené ma femme pour la torturer devant moi. Ma femme, loin des tourbillons politiques,  femme au foyer qui s’occupait seulement de la famille, a vécu l’enfer devant moi. Ils étaient sadiques. J’étais incapable de faire quoi que se soit pour elle. Ce cauchemar m’accompagnera jusqu’au tombeau ».
 Nous avons perdu ce grand patriote, ce grand intellectuel militaire.
Honte à ceux qui me parlent aujourd’hui de la « page tournée » et surtout à ceux qui ont passé des années de prison avec des centaines de paysans (de Khénifra, Kasr Essouk, Figuig…) qui avaient subi, en plus de la torture, des pratiques dégradantes, honte à  ces renégats qui sont devenus aujourd’hui avocats des tortionnaires et valets du palais.
- Alla AfaKouh, mokhazni au palais royal de Fés. Arrêté après les événements de 3 mars 1973. Il a vécu l’enfer des centres de torture. On a vécu ensemble des années de prison. Il ne se plaignait jamais. Sérieux, homme de parole. Il n’a jamais cessé de lutter pour la vérité. Nous avons perdu ce grand militant en 2008. »…. (extrait du « Maroc profond »)

L’ex petit berger, passait du temps à discuter, la plupart du temps en tamazight avec ces militants venus des entrailles de la société, des militants sincères, des militants non imprégnés des « pratiques philistines des petits bourgeois de la ville ». Pas de jugement de «valeur» : que tu fasses la prière ou non, que tu jeûnes ou non, l’essentiel c’est le respect de l’autre. Le militant Assidon, issu d’une famille juive, Amine natif de Fès, Derkaoui, le jebli…étaient TRES, TRES appréciés, respectés, écoutés et ce, malgré le handicap de la langue. Amine était toujours entouré de « Da » Hmad, Bouhajla, El Yazid…ils parlaient de tout. De choses sérieuses et de moins sérieuses. Ils s’esclaffaient. Le moral de tous les détenus était au beau fixe, et ce, malgré les drames familiaux que vivaient certains.

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