lundi 26 novembre 2018

Le jour le plus long


Le 18 novembre 1962, le jeune despote annonça "le projet de la 1ère constitution du bled", projet soumis au "débat" public. La date du référendum fut fixée pour le vendredi 7 décembre 1962.
56 ans après, les six "constitutions" imposées(1962, 1970, 1972, 1992, 1996, 2011) n'ont fait que renforcer le pouvoir du palais. Le makhzen ne fait que changer sa peau telle une vipère, quant au mouvement progressiste classique, l'érosion de son âme n'est pas à démontrer .
Ali Ouhmad Fkir (26 novembre 2018)
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Extrait du livre "Le petit berger qui devint communiste": 
Le jour le plus long
 Ce fut un vendredi 7 décembre 1962, à six heures du matin, Moha réveilla les pensionnaires de la « Maison de Bienfaisance ». Ils avaient une heure pour vider les lieux. Faire leur toilette, prendre le petit déjeuner, s’habiller, quitter la demeure et ne revenir que le soir tard. Il faisait glacial dehors.
Le gérant, remit à chaque gosse, un demi pain avec à l’intérieur 4 petites sardines. C’était pour toute la journée. 
 Pourquoi cette « punition » collective ? C’était simplement le jour du référendum relatif à la « constitution », la première constitution du Maroc. La Maison a été réquisitionnée par l’administration pour y installer des bureaux de vote.
 Les enfants pain à la main, sans emballage aucun, l’huile coulait des coins du pain, étaient obligés d’éviter les lieux habités. Ils se réfugièrent dans le lit d’un ruisseau attendant, tout grelottants de froid, le soir qui allait tarder à venir.
Le petit avait vécu avec grande émotion le débat relatif à cette opération. Mais il a fallu quelques années pour mieux comprendre les vrais enjeux.
Hassan II fraîchement intronisé, voulait « légitimer » sa tyrannie. Sa légitimé en tant que roi, se basait sur l’islam (commandant des croyants) et sur sa lignée en tant que descendant du prophète Mahomet (chérif), cette légitimé est consacrée par « la Baia (l’allégeance) du peuple ». La France et autres pays impérialistes, avaient besoin d’autre chose pour « légitimer » aux yeux de leur opinion publique leur soutien à un régime despotique. Puisque la base d’un système « démocratique » bourgeois est d’abord une constitution et un parlement, il suffit alors de façonner une constitution à la hauteur des aspirations dictatoriales du jeune roi, et « d’élire » un docile parlement capable de travailler sur commande. Ce qui arrangeait aussi bien le jeune despote, que les initiateurs du néocolonialisme.
 Des juristes français furent chargés de l’exécution de l’entourloupette. Ces exécutants sur commande étaient bien rodés sur ce genre d’opérations à travers les pays africains, surtout qu’elles étaient juteuses et qu’elles arrangeaient les affaires de toutes les parties au détriment toutefois des intérêts des peuples.
 L’UNFP décida de boycotter le référendum, l’Istiqlal et le MP appelèrent à voter « OUI » à la constitution, l’UMT ne prit pas position.
A Midelt, l’administration locale interdit à Mehdi Ben Barka de tenir son meeting de boycott. Le petit était là avec des centaines d’ouvriers. Ils attendaient en vaine Mehdi.
 Les pensionnaires   regagnèrent la « Maison de Bienfaisance » vers 19 heures. On les refoula. Il fallait attendre la fin de « dépouillement ».Vers onze du soir, les gosses regagnèrent leur « chez-soi ». Ils apprirent qu’il n’y avait pas de vote. Il n’y avait que le bulletin « blanc de oui ». Les votants n’avaient pas le choix. Il n’y avait pas de dépouillement. Les mafieux avaient passé la journée à bouffer, à se raconter des anecdotes de mauvais goût. Ils terminèrent leur soirée avec du couscous et du méchoui bien « mérités». Les affamés enfants qui grelottaient dans la rue ne les gênaient en aucun cas.
Les PV ont été envoyés des heures avant la fermeture des « bureaux de vote ». Participation 99%, le oui 100%.
Comme les taux de boycott et de non-participation étaient très élevés, et pour que les « démocraties » occidentales valident avec mention « excellent » l’opération, le ministère de l’intérieur annonça les taux suivants : 77,88% pour la participation et 80,10% pour le OUI. Ainsi prit fin le premier acte d’une comédie dont les principaux acteurs n’étaient autres que le palais et la France.

 Au terme de ce jour, le jour le plus long pour l’ex petit berger, celui-ci enterra définitivement ses illusions relatives au « nouveau Maroc ». Son pifomètre de « mathématicien » ne l’avait pas trompé sur le personnage du nouveau roi. Au fonds de lui-même, le petit n’avait jamais gobé l’histoire du roi (sur son cheval blanc) sur la lune. Le petit traversait « l’âge du doute ». C’était l’âge du questionnement, l’âge de la remise en question des « acquis, des absolus, des tabous ». Il fallait attendre le développement des conflits « nationaux », il fallait la lecture de Diderot, Voltaire, Rousseau, et surtout Marx, Engels, Lénine, Mao et d’autres pour mieux comprendre ce qui se passait au Maroc. Le Maroc en tant que partie du globe terrestre, ne pouvait faire l’exception à la logique de l’Histoire, à la dynamique du développement humain. La différence entre les pays réside simplement dans la « cadence » du développement aussi bien économique que politique, social et culturel. Plusieurs préfèrent que certains pays tel le Maroc restent à la traine, et marche aux « pas de la tortue ». Nos amis français et américains ne pouvaient nous souhaiter autres chose. Les intérêts obligent."

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