jeudi 28 août 2014

Exemple de procès politique: été 1973




Le premier grand procès des marxistes – léninistes marocains
Casablanca, été 1973.
Extraits du livre "le petit berger qui devint communiste"
"Le groupe ILAL AMAM et sympathisants avaient décidé dés le mois d’août 1972 de limiter le rôle des avocats au côté technique. Les avocats n’avaient pas à s’immiscer dans les « affaires politiques », dans les négociations avec les représentants de l’Etat ou donner des conseils. Cette décision allait pousser Abderrahime Bouabid, M’hamed Boucetta, Abde Elkarim Benjelloune (ancien ministre de la justice), à n’assister que Herzeni, Anis Balafrej,…"
---------
"Il n’était pas question de demander la « libération », mais exiger un procès public afin de s’exprimer, un procès qui ne pouvait être qu’inique dans les conditions qui prévalaient au Maroc qui vivait sous un régime tyrannique. Le verdict, les condamnations, le nombre d’années de prison étaient choses secondaires pour les militants. Le procès devait être une tribune pour dénoncer le régime, une occasion pour parler de ses repères idéologiques, expliquer son programme politique,…"
-----------
"Les détenus d’ILAL AMAM étaient conscients de l’importance politique du procès qui s’approchait. Face à la terreur de l’Etat policier : les enlèvements, les assassinats, la dissolution des organisations progressistes, l’interdiction des activités non maîtrisées par les relais du makhzen, la censure de toute production/créativité à contenu démocratique, l’interdiction de toute publication progressiste,… face à tout cela les communistes d’ILAL AMAM tenaient à ce que le procès s’inscrive dans le cadre de la résistance du peuple marocain. An niveau national, l’organisation révolutionnaire avait publié un document/appel extraordinaire intitulé : bâtissons le parti révolutionnaire sous les feux de l’ennemi ! (ma traduction). A l’inverse des courants politiques qui cherchaient à éviter honteusement le courroux de palais, ILAL AMAM releva le défi en prônant la lutte pour la république populaire.
Au sein de la prison apparurent deux principales approches quant aux objectifs fixés pour le procès : en coordination avec M’hamed Boucetta et Abderrahim Bouabid, Anis Balafrej et Ahmed Herzeni décidèrent de proclamer l’innocence et de ne pas se défendre en tant que marxistes. En coordination avec le secrétariat national d’ILAL AMAM, les cadres emprisonnés (Amine, Fkir…) devaient défendre le marxisme léninisme, le communisme, les grands traits du programme de la révolution nationale démocratique et populaire établis par l’organisation ; quant aux autres militants, ils devaient défendre la légitimé des luttes des masses populaires et exposer les programmes sectoriels tels les revendications des lycéens, des étudiants, des intellectuels progressistes,…
Le procès avait été fixé pour août-septembre 1973. Il a duré plusieurs semaines. Il s’était déroulé dans des conditions difficiles, aussi bien pour les détenus que pour leurs familles.
Une armada de forces de répression amenait quotidiennement les détenus très tôt au tribunal. Ils y restaient jusqu’à minuit passée. Les familles venues de tous les coins du pays étaient obligées de rester à Casablanca dans des conditions difficiles. Je profite de cette occasion pour rendre hommage aux familles casablancaises qui avaient pris en charge des dizaines de personnes et ce pendant des semaines. Mon hommage va essentiellement à Badia Skalli, à la famille Khotbi, à la famille Amine,…
La présence d’avocats étrangers (libanais,…), de ténors politiques (Bouabid, Boucetta, Abdelkarim Benjelloun ex ministre de la justice…), l’assurance qu’a eu le palais (par l’intermédiaire de ces dernières personnes) que le fils de son conseiller n’allait pas s’attaquer aux « institutions sacrées »,… tout cela a permis aux « inculpés » de s’exprimer « librement » et pendant le temps nécessaire.
Les gens de la radio et la télévision officielles étaient là.
Les détenus avaient réfuté le contenu des PV de la police et s’étaient attaqués aux divers aspects des politiques de l’Etat dans les différents domaines.
Derkaoui, Amine et Fkir s’étaient défendus en tant que communistes, en tant que marxistes léninistes. L’enregistrement des déclarations se trouve aujourd’hui aux archives de la RTM.
Le juge/président, fervent monarchiste aux réactions fascistes, jouait le rôle du flic, de procureur du roi,… sauf le rôle d’un honnête juge. Quarante ans après, le comportement des « juges » dans les affaires politiques n’a pas changé. Les peines d’emprisonnement sont toujours décidées par des services extrajudiciaires.
Le procureur du roi était sympathique, il ne voyait aucun inconvénient à ce que les « accusés » s’expriment librement, à ce que les avocats posent sans pression aucune leurs questions. Il fut immédiatement remplacé. Il aura connu par la suite des problèmes avec les services de l’Etat. Il fut remplacé par un véritable fasciste.
Malgré la fatigue, la faim, la soif, la pression policière,… les détenus politiques rigolaient. La salle, pleine à craquer, applaudissait. Les familles étaient là, de même que des dizaines d’avocats. Les marionnettes qui « géraient » le procès étaient vraiment ridicules.
Le tribunal fut transformé en tribune politique. Ce fut la première fois que des militants marocains défendaient le communisme, la révolution. Les va-et–vient entre le tribunal et la prison constituaient des occasions pour scander les slogans révolutionnaires, c’étaient de véritable manifestations.
Bouchikhi, un militant palestinien, avait été assassiné en Europe.  En pleine séance du procès, le militant Aziz Loudyi se mit debout et demanda à l’assistance d’observer une minute de silence à la mémoire du martyr palestinien. Tout le monde se mit debout, les « juges » s’enfuirent et quittèrent la salle. C’était extraordinaire ! Rappelons que le militant Loudyi, a été arrêté arbitrairement quelques mois après l’arrivée du dernier groupe des prisonniers. Il n’a jamais été cité dans les PV de police. Après l’enlèvement du militant Aziz Mnebhi au lendemain de la dissolution de l’UNEM dont il était président, Loudyi, son beau-frère était allé au commissariat enquêter sur le sort de Mnebhi. C’est ainsi qu’il fut arrêté en tant que cadre de l’UNEM et amené à Casablanca rejoindre les détenus marxistes-léninistes. C’est ce qu’avait compris l’ex petit berger. Il a été condamné par la suite à 10 ans de prison ferme.
La nuit du verdict arriva : après quelques 3 heures de lecture des « considérations » et autres âneries, le « juge » annonça (vers six heures du matin) en direct à la radio, les sentences : 5 condamnations à 15 ans de prison ferme (Amine, Herzeni, Derkaoui, Assidon, Bari, Balafrej), plusieurs condamnations à 10 ans, 5 ans fermes, 18 mois fermes, 5 ans avec sursis, et des acquittements.  Les militants scandaient des slogans, s’embrassaient. Les familles tinrent courageusement le coup. Les avertis s’attendaient à pire, les naïfs se faisaient des illusions.
Comme dans tous les procès politiques, les peines sont fixées par les services de la police en coordination avec les gens du palais. Le rôle de tout juge ne dépasse pas le rôle du simple figurant d’un film navet.
Les condamnés « regagnèrent » les cellules tout en étant prêts à faire dignement face aux années d’emprisonnement qui les attendaient.
La famille de « l’ex berger », perdue dans le près-saharien à plus de 600 km de  Casablanca, apprit sa condamnation grâce à la radio (journal d’info de 7h du matin). Son père, ancien résistant, s’attendait au pire.
Quelques jours après, il reçut la visite d’un frère et des gens de Beni Tadjit. Il était là devant eux, tout souriant, en disant que le procès s’était bien passé, que les condamnés étaient satisfaits, et qu’ils avaient pu dire ce qu’il fallait dire.."

 Photos/archives été 1973






 Fkir en prison 1981





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire